Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
641
GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

fournir la connaissance première d’une chose autre qu’elles-mêmes, la connaissance de la substance par exemple.

« D’après cela, il pose[1] que, dans l’état où nous sommes ici-bas, nous ne pouvons, des seules qualités abstraites, tirer la connaissance de concepts simples ; que, par elles, nous ne connaissons point les substances, simples ou composées, sinon par un concept simple commun à ces substances [et à autre chose] ou par un concept propre, mais composé (substantias sive compositas sive simplices non cognoscimus nisi conceptu simplici communi vel proprio composito[2]). La raison en est la suivante : Toute connaissance abstraite d’une chose, qu’il s’agisse de la connaissance de la chose en elle-même ou en son concept propre[3] ou en d’autres concepts qui se puissent abstraire immédiatement de cette chose, présuppose en la même puissance, la connaissance intuitive de cette chose à partir de laquelle se doit pratiquer l’abstraction ; une chose, en effet, n’est point connue d’une façon abstraite sinon parce que la manière d’être laissée derrière elle par la connaissance intuitive précédente incline à la connaissance abstraite. Mais, en notre état de voyageurs, seules, les qualités sont connues de nous d’une manière intuitive. Cela est évident. La connaissance intuitive, en effet, est celle par laquelle nous connaissons d’une chose si elle est ou n’est pas. Si donc nous avions une connaissance intuitive de la substance nous pourrions, lorsque sont prononcées les paroles de la consécration, savoir à quel moment la substance du pain cessera d’exister. Or cette conséquence est fausse, connue le montre l’expérience. »

Les qualités sensibles, la couleur, la chaleur, la saveur,’odeur sont donc les seules choses matérielles dont nous ayons la connaissance intuitive, c’est-à-dire la seule connaissance qui nous

  1. Op. laud, Cap. II, conclusion 40a ; ms. cit., fol. 130, col. a.
  2. Le texte porte : nisi conceptu simplici composito vel proprio communi, ce qui est absurde. Le texte fautif se corrige et la pensée d’Ockham s’éclaire par la conclusion qui précède immédiatement celle-ci (Cap. II, concl. 39a ; fol. 129, col. d, et fol. 130, col. a) : « Selon ce qui a été dit plus haut, il pose que, par être, on conçoit, pour Dieu et pour les créatures, un même complexe univoque ; il est impossible, en effet, on l’a dit, qu’une chose nous conduise à la connaissance première d’une autre chose, en soi ou en un concept simple qui lui soit propre. Puis donc que nous parvenons à une certaine connaissance de Dieu,… il faut que ce soit par un concept simple qui lui soit commun avec d’autres choses, ou par un concept composé qui lui soit propre… Selon ce qui vient d’être dit, il pose qu’en notre état de voyageurs sur la terre, nous ne concevons pas Dieu en lui-même ni en un concept simple qui lui soit propre, mais que nous le concevons soit en un concept simple commun [à lui et à d’autres], en concevant l’être (ens), par exemple, soit en des concepts composés propres, comme l’être premier, l’être suprême, et autres de cette sorte. »
  3. Au lieu de : proprio, le texte dit : commune.