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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

espèces intelligibles forment, en l’intelligence, des concepts abstraits, universels qui constituent encore une connaissance première de l’objet.

Toute cette théorie, communément reçue dans les écoles, Ockam la rejette sans ambages.

« Selon ce qui a été dit précédemment, il nie[1] qu’il y ait, en la sensation et en l’intelligence, des espèces premières ; d’une manière universelle, il nie toute représentation dont on puisse dire qu’une chose en représente une autre au point de nous pouvoir conduire à la connaissance première de celle-ci ; une chose nous rappelle seulement une autre chose antérieurement connue. La raison en est que la pluralité ne doit pas être admise alors qu’il n’y a pas nécessité de l’admettre ; or, à la connaissance intuitive suffisent une puissance convenablement disposée, un objet présent et des causes extrinsèques ; en effet, nous ne voyons pas, par expérience, qu’elle requière quoique ce soit d autre ; la raison ne nous convainc pas, non plus, qu’il faille admettre davantage et l’autorité ne nous y oblige pas ; il n’est donc pas nécessaire, en vue de la connaissance intuitive, d’admettre de telles espèces. Cela n’est point nécessaire non plus pour la connaissance abstraite ; à celle-ci, en effet, outre la puissance et les causes extrinsèques, suffit la manière d’être qu’a laissée après elle la connaissance intuitive précédente ; l’expérience, en effet, nous montre où : Lorsque nous avons vu un certain objet, nous pouvons ensuite, en l’absence de cet objet, y penser. »

« Selon ce qui a été dit précédemment, il nie[2] que des espèces représentatives soient reçues dans le milieu ou par un miroir ; d’une manière universelle, il dit qu’une chose n’en représente jamais une autre de telle sorte qu’elle conduise à la connaissance première, simple et propre de celle-ci. Toutefois, une certaine couleur, une certaine chaleur, une certaine odeur peuvent bien être reçues dans le milieu… »

Le sens percevra donc la couleur, la chaleur, l’odeur qui résident dans le milieu ; mais ces qualités n’ont pas à ressembler à l’objet dont elles émanent ; en tout cas, qu’elles lui ressemblent ou non, elles ne nous peuvent conduire à la connaissance première et propre de cet objet ; ces qualités ne nous peuvent

  1. Op. laud., Cap. II, conclusio 27a, ms. cit., fol. 129, col. b.
  2. Op. laud., Cap. II. conclusio 34a ; ms. cit., fol. 129, col. d.