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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

Ne peut-il se faire que la première chose soit la trace de la seconde, en sorte que la connaissance intuitive de celle-là nous révèle l’existence de celle-ci ? Comment Ockam répondait à cette objection, son disciple va nous l’apprendre :

« D’après cela, il pose que la trace (vestigium) ne nous conduit pas à la connaissance [première et incomplexe] de la chose dont elle est la trace ; elle rappelle seulement à notre souvenir la connaissance incomplexe d’une chose précédemment connue, en outre, elle nous donne une connaissance complexe nouvelle et précédemment inconnue. Exemple : Celui qui, dans la poussière, verrait la trace d’un lion et n’aurait jamais vu de lion, ne tirerait pas de là la connaissance du lion. Mais celui qui, autrefois, aurait connu un lion et qui verrait ensuite la trace d’un lion dans la poussière, se souviendrait fort bien du lion ; delà, en outre, résulterait pour lui ce complexe : Un lion a passé ici. »

La connaissance d’une chose ne peut jamais conduire à la connaissance première d’une autre chose. Ce principe, formulé par Ockam, bouleverse, nous l’allons voir, toute la théorie de la connaissance admise par la Scolastique.

Rappelons sommairement cette théorie.

Elle subdivise la connaissance intuitive d’une chose matérielle, extérieure à nous, en deux phases : La perception par le sens et la conception par l’intelligence.

Du corps perçu, le sens reçoit certaines formes qui ressemblent au corps extérieur, qui en ont l’apparence, qui en sont des espèces sensibles (species sensibiles) ; c’est parce que ces espèces reçues par le sens ressemblent à l’objet dont elles émanent que la perception nous donne une connaissance première de cet objet. Si la perception par l’intermédiaire de certains sens, de la vue par exemple, peut se faire à distance, c’est que certaines especes sensibles se transmettent, au travers du milieu diaphane, suivant le parcours du rayon lumineux, se réfléchissent, se réfractent avec ce rayon ; les lois de la transmission de ces espèces sensibles sont celles qu’un Bacon étudie en son De multiplicatione specierum.

Des perceptions reçues par le sens, l’intelligence active extrait de nouvelles espèces, les espèces intelligibles (species intellectæ) ; ce sont encore des ressemblances, mais non plus des ressemblances de l’objet individuel et concret ; ee sont des ressemblances de la quiddité universelle et de ses attributs ; par la similitude qu’elles ont avec cette quiddité, avec ses attributs, ces