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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

chose d’une manière contingente ou qui lui sont attribuées [de cette manière].

» Ce n’est pas que la connaissance abstraite connaisse quelque chose que ne connaîtrait pas la connaissance intuitive ; c’est absolument la même chose qui est connue, et sous le même rapport, par l’une et par l’autre connaissance. Elles se distinguent l’une de l’autre de la façon suivante :

» La connaissance intuitive d’une chose est celle en vertu de laquelle on peut savoir si cette chose existe ou n’existe pas ; dans le cas, par exemple, où elle enseigne que la chose existe, l’esprit juge aussitôt que la chose existe, et il conclut évidemment qu’elle existe, sauf dans le cas où il serait empêché par l’imperfection de cette connaissance intuitive…

» La connaissance intuitive est encore celle qui est telle : Quand des choses sont connues dont l’une est inhérente à l’autre, dont l’une occupe un lieu distant du lieu de l’autre, dont l’une se comporte de quelque autre manière par rapport à l’autre, tout aussitôt, en vertu de cette connaissance incomplexe de ces choses, on sait si l’une est ou non inhérente à l’autre, si elle en est distante ou ne l’est pas, et autres vérités contingentes ; à moins, cependant, que cette connaissance ne soit trop atténuée ou qu’il n intervienne quelque empêchement…

» La connaissance abstraite, au contraire, est celle en vertu de laquelle on ne peut pas savoir évidemment, au sujet d’une chose contingente, si elle existe ou n’existe pas ; et c’est de cette manière que la connaissance abstraite fait abstraction de l’existence ou de la non-existence ; par elle, en effet, on ne peut savoir évidemment, d’une chose qui existe, qu’elle existe ni, d’une chose qui n’existe pas, quelle n’existe pas, contrairement à ce qui a lieu pour la connaissance intuitive. De même, par la connaissance abstraite, aucune vérité contingente, surtout lorsqu’elle concerne un objet présent, ne peut être connue d’une façon évidente. »

Nous avons entendu Ockam et son élève poser, avec la plus grande netteté, la distinction de la connaissance intuitive et de la connaissance abstraite, distinction qui joue, en la théorie de la connaissance du maître, un rôle essentiel. L’élève va nous enseigner quel est ce rôle :

« Selon ce qui vient d’être dit, [Ockam] pose[1] que toute recherche qui porte sur une chose réelle (res) n’a pas atteint son but et ne l’atteindra jamais sans la connaissance intuitive, car la connais-

  1. Auctoris anonymi Op. laud., conclusio 20a ; ms. cit., fol. 129, col. c.