Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
635
GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

« D’après cela, il pose[1] qu’à l’égard du même objet, il y a deux connaissances spécifiquement distinctes, la connaissance abstraite et la connaissance intuitive. Que ccs deux connaissances soient spécifiquement distinctes, il le prouve par cette raison : Si intense que soit l’une d’elles, elle ne peut jamais rien dans le domaine de l’autre. En outre, la connaissance intuitive est celle par laquelle nous donnons notre assentiment aux vérités contingentes relatives à la chose dont nous avons l’intuition, à celles-ci, par exemple : cette chose est ici ou là, cette chose est blanche ou noire, douce ou acide, et autres de même sorte. La connaissance intuitive[2] est celle par laquelle nous donnons notre assentiment à une proposition de ce genre, lorsqu’elle est formée. Exemples : Si je vois une muraille présente, je sais que cette muraille existe, et si l’on forme ce complexe : La muraille existe, j’y donne aussitôt mon assentiment. Si je goûte du miel, aussitôt ce complexe formé : Cela est sucré, j’y donne mon assentiment. Si je touche du feu, et si l’on forme ce complexe : Le feu est chaud, j’y consens de suite. Ces connaissances incomplexes[3] qui déterminent l’assentiment à de tels complexes aussitôt que ceux-ci sont formés, sont spécifiquement distinctes des connaissances incomplexes qui ne déterminent aucun assentiment. Si parfaitement, en effet, que j’aie connu une muraille, lorsqu’elle n’est plus en ma présence, je sais de quelle grandeur et de quelle qualité elle était, mais je ne sais plus si elle est et, par conséquent, je ne sais ni de quelle grandeur ni de quelle qualité elle est. C’est cette dernière connaissance que l’on nomme connaissance abstraite. Ces deux connaissances ont des causes efficientes distinctes, car la première est créée par l’objet et la seconde par la disposition (habitus) qu’a laissée après elle la connaissance intuitive. »

La connaissance abstraite se réduit donc, pour Ockam, à ce qu’il appelle : habitus derelictus a notitia intuitiva, c’est-à-dire au souvenir de la chose intuitivement connue ; l’exemple même qu’il vient de choisir pour définir la connaissance abstraite nous assure que cette expression ne défigure pas sa pensée ; l’occasion se présentera tout à l’heure de la préciser.

Les exemples invoqués pour éclairer la définition de la connaissance intuitive pourraient nous induire en erreur ; nous pourrions croire que la connaissance intuitive porte exclusivement sur les

  1. Auctoris anonymi Op. laud., Cap. II., conclusio 28a ; ms. cit., fol. 129, coll. b et c.
  2. Au lieu de : intuitiva, le texte porte : abstractiva.
  3. Au lieu de : in complexæ, le texte porte : complexæ.