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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

à la connaissance directe de chaque chose singulière. Comment il exposait et soutenait cette théorie de la connaissance, c’est ce que va nous apprendre son disciple anonyme.


C. — La théorie occamiste de la connaissance.


En un de ses Quolibets, Ockam examine cette question[1] : « La connaissance intuitive et la connaissance abstraite diffèrent-elles l’une de l’autre ? » — À cette question, il répond en ces termes :

« Il semble que non, car la pluralité ne doit pas être admise sans nécessité ; mais une connaissance qui est substantiellement la même peut être dite intuitive quand la chose est présente et abstraite quand la chose est absente, car la connaissance intuitive a trait (connotat) à la chose présente et la connaissance abstraite à la chose absente.

» Mais au contraire, l’intelligence peut connaître évidemment une proposition contingente, celle-ci par exemple : cette blancheur existe ; cette proposition ne peut être connue par la connaissance abstraite, car celle-ci fait abstraction de l’existence connue par la connaissance intuitive ; donc ces connaissances diffèrent,

» Cette conclusion est certaine et peut être prouvée par la spécialisation des actes auxquels correspondent ces deux connaissances ; mais ce qui est douteux, c’est de savoir comment elles diffèrent ; je dis à présent qu’elles diffèrent de deux manières.

» Elles diffèrent, en premier lieu, en ce que, par la connaissance intuitive, on donne assentiment à une vérité contingente, ce qui n’a pas lieu par la connaissance abstraite.

» Elles diffèrent, en second lieu, en ce que, par la connaissance intuitive, je juge non seulement que la chose est quand elle existe, mais je juge encore qu’elle n’est pas quand elle n’existe pas ; par la connaissance abstraite, je ne porte ni l’un ni l’autre de ces jugements. »

Le disciple anonyme d’Ockam va nous redonner l’exposé de ces pensées sur la connaissance intuitive et sur la connaissance abstraite :

  1. Magistri Guilhelmi de Ockam Quodtibeta septem : quodlib. V, quæst. V. — Au sujet de cette distinction de la connaissance intuitive et de la connaissance abstraite, on trouvera de longs développements dans les Quæstiones in libros Sententiarum, lib. I, prologus, quæst. I. On reconnaît, en cette question, plusieurs des opinions que le disciple d’Ockam va prêter à son maître ; mais elles y ont, en général, une forme moins arrêtée que dans la compilation du disciple.