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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

tire son unité de l’unité du sujet dont elle développe la définition, dont elle explicite la quiddité.

C’est cette conception idéale de la Science, plus ou moins formellement reçue de ses prédécesseurs les plus illustres, que Guillaume d’Ockam vient de briser devant nous. Il a soin, d’ailleurs, de nier, avec sa netteté habituelle, le principe même qui lui a donné naissance.

« Selon ce qui a été dit ci-dessus, écrit son disciple anonyme[1], il pose que, pour la connaissance première, suffisent l’objet approché à une distance convenable et les causes universelles de la connaissance, sans aucune intelligence active réellement distincte de l’intelligence en puissance.

» Selon ce qui a été dit ci-dessus, il pose[2] que c’est le singulier qui est compris tout d’abord (singulare primo intenditur), et en voici la raison : nous reconnaissons par l’expérience que nous comprenons tout d’abord ce que nous venons de voir ou de percevoir par un sens quelconque (quia experimur nos primo intendere quod primo videmus vel sentimus quocunque sensu ; quia, visa muliere, statim deliberabimus concupiscendo vel non concupiscendo ; constat etiam quod ista deliberatio est actus intellectus).

» D’après cela, il pose[3] qu’une chose matérielle n’a pas une certaine quiddité qui ne serait pas quelque chose de singulier et qui serait objet de notre intelligence ; car toute quiddité et toute chose sont quelque chose de singulier, comme on l’a dit plus haut, et toute chose est sa propre quiddité et n’est rien d’autre ; quelle que soit, en effet, la chose dont on demande : qu’est-elle en elle-même ? il est certain qu’elle est elle-même et rien d’autre qu’elle-même (Secundum hoc ponit quod non est aliqua quidditas rei materialis, quæ non sit singulare, quæ sit objectum intellectus nostri ; quia omnis quidditas et omnis res est singulare, ut supradictum, et omnis res est quidditas sua et nihil aliud ; de quocunque enim quœratur quid ipsum est, constat quod ipsum est ipsum et non aliud a seipso) ».

Nous voyons maintenant que si Ockam a broyé l’unité des diverses sciences jusqu’à les réduire à une poussière de conclusions dont chacune est l’objet d’une science spéciale, c’est qu’il avait, auparavant, émietté la connaissance humaine jusqu’à la réduire

  1. Op. laud., Cap. II, conclusio 21a ; ms. cit., fol. 129, col. b.
  2. Op. laud., Cap. II, conlusio 22a ; ms. cit., ibid.
  3. Op. laud., Cap. II, conclusio 23a ; ms. cit., ibid.