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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

celle-là. Ainsi, après la résurrection, les corps humains seront incorruptibles ; ils auront, cependant, une matière de même nature [que celle des éléments]. L’incorruptibilité ne suffit donc pas à démontrer que les matières soient différentes. Aucune autorité du Philosophe ne nous oblige non plus à l’admettre, car le Philosophe semble plutôt ne mettre au Ciel aucune matière et regarder le Ciel comme un sujet en acte à l’égard du Moteur, ainsi que l’explique le Commentateur. »

Bien que ces divers extraits forment une part infime de l’ouvrage que nous analysons, ils suffisent à nous assurer que l’auteur de cet ouvrage a fidèlement reproduit la pensée de Guillaume d’Ockam ; nous pourrons donc nous fier à lui lors même que, pour contrôler les propositions qu’il prête au Maître, nous n’aurons pas le témoignage des écrits laissés par celui-ci.


B. — Le morcellement de la Science.


Notre disciple anonyme de Guillaume d’Ockam va nous exposer tout d’abord, en grand détail, une doctrine qui dut singulièrement troubler les habitudes invétérées des Écoles,

Il était admis que chacune des branches de la Science avait un sujet bien déterminé ; Dieu était le sujet de la Théologie, l’être le sujet de la Métaphysique, l’être mobile le sujet de la Physique. Par son unité, ce sujet assurait l’unité de la branche de science qui l’étudiait ; par sa propriété, il distinguait cette branche de toutes les autres ; la coordination ou la subordination des divers sujets fixait les rapports mutuels des diverses sciences. Point de commentateur d’Aristote ou du Maître des Sentences qui ne commençât par déterminer avec soin le sujet particulier du livre qu’il allait exposer. Cet examen n’était point, d’ailleurs, œuvre vaine ; l’organisation universitaire lui donnait un intérêt pratique ; puisqu’un maître ès-arts avait défense de disputer en Théologie, ne fallait-il pas que l’on discernât très exactement le domaine de la Théologie de celui de la Métaphysique ou de la Physique ?

D’ailleurs, cette importance accordée à l’exacte détermination du sujet d’une science dépendait, plus ou moins directement, de cette pensée : La définition du sujet fait connaître pleinement ce qu’il est, en détermine la quiddité ; de cette quiddité découlent toutes les propriétés du sujet, en sorte que la définition du sujet une fois connue, on en peut déduire tous les prédicats qu’il convient de lui attribuer ; ils sont tous virtuellement impliqués en