Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
627
GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

» Selon ce principe, il pose[1] que l’intelligence en puissance est acte ; et cela, il ne l’admet, dit-il, que parce qu’il veut, de la sorte, expliquer les paroles d’Aristote au sujet de l’intelligence active ; ces paroles se devraient entendre seulement de l’intelligence en puissance alors qu’elle est évoquée à l’acte…

» Selon ce qui a été dit, il pose[2] qu’à la connaissance première suffisent l’objet approché à une distance convenable et les causes universelles de connaissance, sans intelligence active réellement distincte de l’intelligence en puissance…

» Selon le principe précédemment énoncé, il nie[3] les êtres de raison qui ne sont pas de véritables choses, mais qui n’ont qu’une existence feinte ou simplement objective[4] ou apparente ; en cll’et, il ne faut rien admettre sans nécessité ; or, il n’y a aucune nécessité à poser de tels êtres ; bien plus, ils ne sont utiles à rien de bon ; de tels êtres ne nous sont point manifestés par l’expérience et, dans l’autorité, il n’y a rien qui nous oblige.

» D’après cela, il pose[5] que les idées sont simplement les choses qui doivent être créées ou qui peuvent être créées alors quelles sont conçues par l’intelligence…

» Selon le principe précédemment énoncé, il pose[6] qu’il ne faut pas mettre au Ciel une matière d’autre nature (ratio) que la matière des quatre éléments ; il n’y a, en effet, en ce sens, aucune vouloir le contraire car, [selon l’Écriture,] tous les corps proviennent d’une matière première informable de même nature ; d’ailleurs, c’est certain, ni l’expérience ne nous donne la conviction opposée [à celle de l’Écriture] ni la raison ne nous y contraint. S’il y avait, en elfet, quelque raison [en faveur de cette opinion opposée], ce serait surtout celle qui aurait pour objet l’incorruptibilité du Ciel ; mais pour le théologien, cette raison-là est sans valeur. Si l’on dit, en effet, que le Ciel est incorruptible, c’est seulement parce que ces corps soumis à la génération et à la corruption ne le peuvent corrompre ; mais cela ne démontre pas qu’il ait une matière d’une autre nature ; l’action, en effet, n’est pas seulement en raison de la matière, mais aussi en raison de la forme ; parmi les formes, celle-ci est capable d’agir sur

  1. Op. laud., Cap. II, conclusio 17a ; ms. cit., ibid.
  2. Op. laud., Cap. II, conclusio 21a ; ms. cit., fol. 129, col. b.
  3. Op. laud., Cap. II, conclusio 31a ; ms. cit., fol. 129, col. c.
  4. Dans le sens où nous dirions : subjective.
  5. Op. laud., Cap. II, conclusio 32a ; ms. cit., ibid.
  6. Op. laud., Cap. II, conclusio 41a ; ms. cit., fol. 130, col. a.