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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

» Cela aussi est un principe rationnel, car, sans lui, il serait permis de multiplier les choses à notre gré ; au delà de la dernière sphère céleste, par exemple, on pourrait supposer cent mille sphères tout comme, à présent, on suppose le ciel empyrée ; et à l’encontre de cette supposition, on ne trouverait jamais de preuve efficace ; et il en serait de même en toutes les circonstances possibles. »

À la suite de chacun de ces deux énoncés, se déroule la longue chaîne des conclusions qu’Ockam en déduisait. Invariablement, toute proposition nouvelle est annoncée par la formule : « Selon ce principe, il pose[1] » ou bien : « Selon ce principe, il dit « Secundum hoc, ponit » ou bien : « Secundum hoc dicit. » Affirmations relatives à la Logique, à la Physique, à la Métaphysique, à la Morale, à la Théologie se suivent précipitamment et sans grand ordre ; mais cette précipitation et ce désordre ne font que rendre plus vive l’impression causée par la lecture de cet opuscule ; il semble que l’on assiste au défilé emporté d’une charge furieuse, d’une ruée contre tout ce qui s’enseignait, dans les Écoles, depuis trois quarts de siècle ; la lecture des oeuvres mêmes d’Ockam ne donne point une aussi vive sensation ; les attaques contre les diverses Scolastiques inspirées par le Péripatétisme y apparaissent dispersées et ménagées ; ici, ramassées et brutales, elles semblent devoir tout emporter.

Parmi les propositions que le disciple anonyme d’Ockam lance à l’assaut des opinions reçues, il en est où nous reconnaissons aisément ce que nous avons lu dans les traités, manuscrits ou imprimés, du Maître ; il en est d’autres que nous ne nous souvenons pas d’y avoir vues, soit que, plus enveloppées et plus timides, elles aient échappé à notre attention, soit qu’elles se rencontrent seulement en des écrits dont nous n’avons pu prendre connaissance, soit enfin, ce qui est fort probable, que beaucoup d’entre elles proviennent de renseignement oral du Franciscain anglais. Il ne paraît pas, en tous cas, qu’il y ait lieu de suspecter la fidélité du disciple et de réputer apocryphes quelques-unes des propositions qu’il met au compte de celui dont il reproduit l’enseignement.

  1. Le nom d’Ockam n’est jamais prononcé en cet ouvrage. Il est cependant hors de doute que c’est de lui qu’il s’agit sans cesse.