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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

saire d’attribuer à chaque orbe céleste une vertu capable de désirer et de mouvoir, mais qui ne soit pas un acte tiré des puissances de la matière et qui ne mérite pas le nom d’âme, si ce n’est par métaphore ; puis, aux désirs de toutes ces vertus motrices, d’assigner un seul et même objet, d’admettre un seul premier Moteur immobile, qui soit Dieu même ; ainsi faisait Saint Thomas d’Aquin ; ainsi faisaient ceux — tel Robert l’Anglais — que la lecture du Sermo de substanlia orbis, séparée de la lecture du Commentaire à la Métaphysique, avait induits en erreur sur le nombre des premiers moteurs immobiles admis par Averroès.

La théorie des moteurs célestes que Saint Thomas avait produite par une déformation graduelle de la pensée d’Aristote et dont la Somme théologique contenait l’exposition sommaire, la théorie qu’Ulrich de Strasbourg avait amplement développée semblait donc, aux conseillers d’Étienne Tempier, la seule qu’un chrétien pût admettre sans danger pour sa foi.

Cette théorie paraît avoir eu, en effet, à la fin du xiiie siècle, de nombreux partisans, qui se flattaient sans doute, en l’adoptant, l’enseignement d Aristote.

De la forme qu’elle revêtait en ces intelligences chrétiennes, nous trouverons une séduisante image en lisant le Paradis de Dante. Dante, qui connaissait les querelles soulevées par les syllogismes de Siger de Brabant a, sans doute, pris soin d adopter, au sujet des moteurs des cieux, ta doctrine que l’on regardait à Paris comme orthodoxe. Or les beaux vers du poète semblent vouloir exprimer sous une forme concise, mais très précise, les pensées qu’avait longuement développées la prose d’Ulrich de Strasbourg.

À chaque ciel correspond une intelligence parfaitement une qui se meut elle-même d’un mouvement interne. En même temps, cette intelligence répand, au sein de l’orbe qui lui est confié, la bonté qui émane d’elle ; cette bonté, Dante la compare à la vie que l’âme épand en notre corps ; mais il se garde bien de l’assimiler à une âme ; c’est bien plutôt l’intelligence séparée qui, en ses comparaisons, tient la place de l’âme. Cette bonté, communiquée à l’orbe par l’intelligence, produit en l’orbe le mouvement et la lumière.

Écoutons ce que le poète nous dit au sujet de la sphère des étoiles fixes, située au-dessous de l’Empyrée et de la dénuée d’astre[1] :

  1. Dante, La divine Comédie, Le Paradis, chant deuxième.