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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

l’instant n’est pas une telle chose. Il est inutile d’accomplir par un plus grand nombre de moyens ce qu’un moindre nombre de moyens suffit à produire. Or, sans cette chose, on peut sauver tout ce que l’on prétend sauver à l’aide de cette chose. Il est donc inutile de l’admettre. Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora ; sed sine tali re omnia possunt salvari quæ ponuntur salvari per eamdem ; ergo frustra ponitur. »

En même temps que la Métaphysique a pris conscience de son incapacité à donner à l’homme, sans le secours du dogme religieux, la solution assurée d’une foule de problèmes, la Physique a compris quelle était sa véritable nature ; elle s’est reconnue science expérimentale ; elle s’est prise à définir avec exactitude les règles et la portée de la méthode a posteriori qu’elle est tenue de suivre ; et pour accomplir cette œuvre importante, il lui a suffi d’étendre des conclusions auxquelles on était parvenu depuis longtemps ; ces conclusions, les philosophes les avaient obtenues en analysant les procédés dont use la première des sciences d’observation, l’Astronomie.


X
Un disciple anonyme d’Ockam

De l’enseignement d’Ockam, quel fut l’effet en l’Université de Paris ? Il y eut, assurément, un très grand retentissement et, partant, il y excita les sentiments divers que soulève une parole ardente lorsqu’elle développe des idées audacieuses et nouvelles.

Ockam trouva, à Paris, des disciples fidèles, soucieux de recueillir scrupuleusement l’enseignement du maître et d’y conformer très exactement leur pensée.

Il trouva des partisans violents, prompts à tirer de ses principes des conclusions excessives qu’il eût sans doute désavouées.

Il trouva des adversaires prêts à répondre par des négations à toutes les affirmations essentielles de sa doctrine.

Il trouva enfin, et en nombre, des hommes équilibrés et éclectiques qui rejetèrent de son système ce qui leur semblait faux ou exagéré tout en gardant ce qui leur semblait juste et fécond.

Chacune de ces quatre attitudes intellectuelles nous sera présentée par l’un des quatre philosophes dont nous allons étudier l’œuvre en ce chapitre et au suivant.