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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

qui sont également d’espèces différentes, ont cependant un accident de même espèce, savoir, la chaleur…

» Puis donc que nous n’avons aucune expérience de la substance, si ce n’est par l’intermédiaire des accidents, et que ceux-ci ne sauraient prouver suffisamment s’il y a ou s’il n’y a pas distinction spécifique entre les substances, il est manifeste que nous ne pouvons, par aucune méthode, prouver que les formes en question sont distinctes ou bien qu elles sont une même forme. Ceux qui soutiennent l’existence d’une différence spécifique entre la forme des os et la forme de la chair, le font à cause de la différence des accidents ; ceux qui tiennent pour l’identité spécifique de ces deux formes, répondent que toute la diversité que l’on observe entre elles provient seulement de la différence des accidents, qui ne démontre pas la différence spécifique des substances. De ces deux partis, quel est le vrai, quel est le faux ? On n’en sait absolument rien. »

Les conclusions semblables abondent en la Physique de Guillaume d’Ockain.

Dès lors, entre diverses explications qui sont également capables de sauver les effets avérés par l’expérience, comment choisir ? Parfois, l’enseignement des docteurs catholiques viendra nous imposer un choix ; ainsi en est-il, par exemple, au sujet de la matière commune aux corps célestes et sublunaires. Hors ce cas, nous n’aurons, pour opter entre des partis divers et également soutenables, que la raison de la plus grande simplicité ; suivant l’exemple si souvent donné par Gilles de Home et par Duns Scot, nous en serons réduits à invoquer ce principe d’économie intellectuelle : Frustra fit per plura quod potest œque bene fieri per pauciora. Pluralitas nunquam ponenda est sine necessitate.

De ce principe, Guillaume fait un emploi si fréquent que sa méthode philosophique en reçoit, peut-on dire, son caractère distinctif ; de cet emploi, nous avons déjà rencontré des exemples ; nous pouvons encore citer le suivant.

Il s’agit de savoir si l’on doit regarder l’instant comme une certaine chose réelle, mais distincte de toutes les autres réalités permanentes, et incapable de durer le moindre temps. Ockam, après avoir argumenté contre cette opinion, conclut en ces termes[1] :

« Je montre principalement de la manière suivante que

  1. Guilhelmi Ockam Summulæ in libros Physicorum, pars IV, cap. I ; éd. cit., fol. 24, col. a.