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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

eût une action plus forte que celle du feu, elle corromprait la forme du feu et introduirait la forme de l’eau en cette matière qui était tout d’abord sous la forme de Ciel.

» La matière du Ciel est donc tout simplement en puissance de formes multiples qu’un agent créé peut y introduire ; mais cet agent ne saurait introduire aucune de ces formes en la matière du Ciel si Dieu n’avait auparavant mis en elle une autre de ces formes qu’un agent créé peut produire… »

Les substances qui ont une commune matière peuvent se transmuer les unes dans les autres ; il en doit donc être ainsi de la substance céleste et des substances d’ici-bas. « Cette proposition est fausse si l’on entend par transmutation possible celle qu’un pouvoir créé peut réduire en acte ; mais s’il s’agit d’une transmutation qui puisse être rendue actuelle par un pouvoir incréé, elle est vraie ; car, d’un corps céleste, Dieu pourrait, s’il le voulait, faire un âne. »

« … Ainsi donc il me semble qu’il y a, au Ciel et dans les corps d’ici-bas, une matière de même espèce, et cela parce qu’il ne faut jamais, comme on l’a dit bien souvent, admettre la pluralité lorsqu’elle n’est pas nécessaire. Or, en cette question, il n’apparaît aucune nécessité d’admettre ici-bas et là-haut des matières d’espèces différentes, car tous les effets qui peuvent être sauvés par une diversité d’espèces en la matière, peuvent être sauvés aussi bien ou même mieux au moyen de l’unité de nature (unitas rationis) de cette matière. »

Si, jetant les yeux en arrière, on regarde ce qu’Aristote, Averroès et Saint Thomas d’Aquin avaient pensé de la matière du Ciel, et si l’on y compare ce qu’après Duns Scot, Guillaume d’Ockam enseigne au sujet de cette même matière, il semblera qu’un chemin considérable ait été parcouru. Combien, cependant, la pensée des deux maîtres franciscains est encore loin de celle qu’admettra la Science moderne ! Si les cieux ont même matière première que les êtres sublunaires, ils n’en ont pas moins une forme qu’aucun agent créé ne saurait transmuer en une autre forme ; ils gardent donc, sinon à l’égard de la toute-puissance divine, du moins à l’égard du pouvoir des créatures, ce caractère incorruptible dont Aristote avait marqué la cinquième essence. La pensée que les astres sont formés par les éléments mêmes dont les combinaisons existent autour de nous était familière aux maîtres platoniciens du vieux Moyen-Âge ; en pénétrant au sein de la Scolastique latine, la Physique péripatéticienne en a chassé cette pensée ; cette pensée n’a pu rentrer en la Scolastique latine, en dépit des efforts