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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Cependant, selon le Philosophe et le Commentateur, il n’y a pas au Ciel de matière qui soit distincte de la forme….

» Je dis, en second lieu, que, dans les corps célestes et dans les corps inférieurs, il y a une matière absolument de même nature. Toutefois, le parti que je veux tenir ainsi ne saurait être démontré, de même qu’on ne saurait persuader du parti contraire….

» L’incorruptibilité du Ciel n’est pas une incorruptibilité toute simple et absolue ; ce n’est qu’une incorruptibilité relative. Dieu peut, en effet, détruire le Ciel et le corrompre tout simplement ; s’il est donc incorruptible, c’est seulement en ce qu’il ne peut être corrompu par un agent créé. Mais le Ciel est également incorruptible à l’égard de tout agent créé, soit que l’on y place une matière de même nature que celle des êtres inférieurs, soit que l’on y mette une matière d’autre nature…

» Je dis donc qu’au sein des corps célestes aussi bien que des corps inférieurs, la matière est absolument de même espèce ; de même que la matière est, ici-bas, en puissance naturelle de recevoir une autre forme, qu’elle tend vers cette forme, qu’elle en est privée, qu’elle se trouve ainsi en tout un ensemble de conditions ; de même, la matière de là-haut se trouve tout simplement et absolument en toutes ces mêmes conditions, non pas, il est vrai, à l’égard d’un agent crée, mais à l’égard de Dieu. C’est en ceci seulement qu’il y a différence entre la matière d’ici-bas et la matière de là-haut. Ici-bas, en effet, la matière est en puissance d’autres formes qui peuvent y être produites par un agent naturel et créé, et’aussi d’autres formes qui ne peuvent être créées que par Dieu seul (telle la forme intellectuelle). Mais la matière du Ciel est en puissance de formes multiples dont aucune ne saurait être produite en cette matière par un agent naturel, car elles ne peuvent être faites que par Dieu.

» Ce que j’en dis suppose, d’ailleurs, que les choses se passent suivant la loi commune. Car on pourrait concevoir un cas où la matière du Ciel serait susceptible de recevoir une forme aussi bien de la part d’un agent créé que d’un agent incréé. En effet, comme la matière du Ciel est de même nature que la matière d’ici-bas, elle est en puissance non seulement des formes qui ne peuvent être créées que par Dieu, mais encore des formes qui peuvent être engendrées par un agent créé, comme la forme du feu, celle de l’air, etc.

» Supposons donc que Dieu introduise en la matière du Ciel la forme du feu, ce qui est possible, car cela n’implique pas contradiction. Si l’on venait alors à approcher de l’eau et que celle-ci