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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

composés[1], mais elle n’est pas numériquement une en tous ces composés. Bien au contraire ; en tous, les corps engendrés qui existent simultanément, il y a autant de matières premières diverses, numériquement distinctes et différentes.

» Que les matières premières de tous les corps susceptibles de génération et de corruption soient de même espèce, nous l’allons prouver.

» Il serait vain, en effet, d’accomplir à l’aide d’un plus grand nombre de moyens ce qui se peut faire à l’aide de moyens moins nombreux. Mais toute génération naturelle peut être sauvée à l’aide d’une matière première ayant toujours même espèce, et sans recourir à plusieurs matières premières de différentes espèces. Or, on n’admet la matière première qu’en vue de la génération naturelle. Il serait donc vain de supposer des matières de diverses

» La proposition admise en ce raisonnement, savoir qu’une seule matière première suffit à rendre compte de la génération naturelle est, d’ailleurs, une proposition évidente.

» De substances, en effet, qui, d’une manière médiate ou immédiate, se transmuent les unes en les autres, la matière est la même ; car la même matière qui était dans le composé détruit doit se retrouver dans le composé engendré. Mais toute substance susceptible de génération et de corruption peut être transmuée, immédiatement ou médiatement, en toute autre substance susceptible de génération ou de corruption. Donc, en tous les corps susceptibles de génération et de corruption, doit exister une matière première de même espèce. »

La doctrine qu’Ockam formule en ce passage ne s’écarte pas de celle que Duns Scot professait à ce même sujet.

Entre le maître et l’élève, l’accord n’est pas moins complet touchant la matière céleste ; résumons ce qu’en dit Guillaume d’Ockam[2].

« Y a-t-il au Ciel une matière de même espèce (ratio) que la matière des corps dici-bas ?…

» À cette question, je réponds, en premier lieu, qu’au Ciel, il y a de la matière. Cela, je l’admets parce que les Saints et les docteurs ont enseigné que Dieu a créé une matière au moyen de laquelle devaient être formés les corps célestes et les autres corps.

  1. Guilhelmi de Ockam Summulæ in libros Physicorum, Pars I, cap, XVIII ; éd. cit., fol. 6, coll. c et d.
  2. Guilhelmi de Ockam In quatuor libros Sententiarum annotationes ; Lib. II, quæst. XXII.