Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
610
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

pose au contraire qu’il y ait, dans le composé, plusieurs formes substantielles, il y a, en ce composé, une seule forme vraiment informante ; il s’y trouve donc des matières diverses qui reçoivent ces formes multiples, car toute forme précédente est matière à l’égard d’une forme plus parfaite, et la forme qui survient on second lieu informe immédiatement la forme précédente qui est comme le sujet où la forme nouvelle est immédiatement reçue.

» Y a-t-il, en l’homme, plusieurs formes substantielles ? il est bien difficile de prouver cette proposition aussi bien que la proposition contraire ; toutefois, pour le moment, nous la prouverons de la manière suivante ou, du moins, nous prouverons que la forme sensitive et la forme intellectuelle sont distinctes en l’homme. Deux actes contraires, en effet, ne peuvent coexister immédiatement dans le même sujet ; or l’homme, en même temps et à la fois, possède l’acte qui consiste à avoir appétit pour un certain objet, et l’acte contraire qui consiste à fuir le même objet. » « Si ces deux actes coexistent dans la nature[1], il faut qu’ils soient en des sujets différents ; mais il est manifeste qu’ils coexistent en l’homme, car l’homme repousse par l’intelligence l’objet même qu’il désire par l’appétit sensible. »

Et maintenant[2], « pour l’homme comme pour les animaux, faut-il admettre une forme corporelle réellement distincte de l’âme sensitive ? » « À cette question, je réponds par l’affirmative, bien qu’elle soit difficile à prouver. » Cette forme substantielle corporelle, distincte de l’âme sensitive, est indispensable pour que les propriétés accidentelles du cadavre d’un homme ou d’un animal demeurent numériquement les mêmes que celles dont le corps vivant était affecté. »

Cette analyse conduit Ockam à mettre dans l’homme et dans les animaux une forme substantielle de plus que Scot n’en avait supposé ; il est curieux de voir ici le disciple compliquer la doctrine du maître.


VIII
La matière première des êtres sublunaires et des cieux

Laissant de côté les discussions relatives aux formes substantielles, revenons à ce qui concerne la matière première.

« La matière première est de même espèce (ratio) en tous les

  1. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta septem ; Quodlib. II, quæst. X.
  2. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Quodlib. II, quæst. XI.