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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

La condamnation de ces trois propositions atteignait évidemment ce qu’Avicenne et Al-Gazâli avaient admis touchant les âmes des cieux ; elle ne permettait pas que l’on crût à l’existence de telles âmes, à moins de les concevoir comme l’avait fait Averroès au Sermo de substantia orbis ou Thomas d’Aquin en la Somme théologique.

Pour qu’Étienne Tempier et ses conseillers s’avisassent de condamner si soigneusement les doctrines qui, d’une manière ou d’une autre, attribuaient aux cieux des âmes semblables à celles des animaux, il fallait bien que ces théories comptassent, en leur temps, des partisans ; il fallait qu’en dépit de l’avertissement de Saint Jean Damascène, certains philosophes assimilassent le mouvement des orbes célestes au mouvement des êtres qui vivent sur la terre.

Des écrits, contemporains d’Étienne Tempier, où semblable hypothèse se trouvait proposée, aucun ne s’est offert à nous ; mais nous en pouvons citer un qui fut rédigé peu de temps après, soit durant les dernières années du xiiie siècle, soit au début du xive siècle ; nous voulons parler du traité De intelligentiis et motibus cælorum qu’a composé Thierry de Freyberg, traité qu’étudiera la quatrième partie de cet ouvrage ; la doctrine exposée en ce traite est celle d’Avicenne et d’Al-Gazâli ; mais elle y est développée et précisée de telle manière que l’on y reconnaisse avec évidence les thèses, condamnées à Paris, que nous venons de citer ; le traité De intelligentiis témoignera donc du peu de cas que son auteur faisait des anathèmes formulés par l’Université parisienne.

Si ces condamnations n’ont pas empêché Thierry de soutenir une telle doctrine, à plus forte raison devons-nous croire qu’elle trouvait des partisans lorsqu’elle n’avait encore encouru aucun anathème. Par là, nous sommes assurés qu’Étienne Tempier et ses conseillers n’avaient pas forgé de toutes pièces des thèses pour le plaisir d’en interdire la soutenance ; ils avaient visé des opinions qui trouvaient autour d’eux des adhérents, désireux de garder tout ensemble leur confiance à ces opinions et leur foi au dogme catholique.


E. L’opinion de Dante Alighieri.


Les diverses condamnations relatives aux puissances (pii meuvent les cieux paraissent concorder pour recommander, au sujet de ces puissances, une doctrine bien déterminée ; si l’on veut échapper, en effet, à toutes ces condamnations, il semble néces-