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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

une existence imparfaite et potentielle que l’agent amènera ensuite à l’existence parfaite et actuelle.

» Cette explication est insuffisante. Ce qui, en quelque chose, se trouve seulement avec une existence potentielle ne s’y trouve pas réellement. Être d’une manière potentielle en quelque chose, c’est simplement pouvoir y exister précisément…

» De ce qu’une forme a une existence possible en la matière, il n’en résulte pas qu’elle soit en la matière ; elle n’y est pas plus que Socrate, lorsqu’il est à Rome, n’est à Paris par ce qu’il a la possibilité d’être à Paris ; elle n’y est pas plus que le blanc n’est dans le noir ni le froid dans le chaud ; de même que cet homme qui est à Rome n’est pas à Paris, bien qu’il ait possibilité d’être à Paris, de même, en la matière qui est actuellement sous forme d’air, la forme de feu n’existe pas, bien que cette forme de feu ait possibilité d’y être. »

« La matière et la forme[1] sont-elles des principes qui suffisent à rendre compte du corps engendré ? N’y faut-il pas joindre une autre chose, savoir la forme du tout ? Certains l’admettent lorsqu’ils disent que le mot composé ne désigne pas seulement la matière et la forme, mais désigne aussi une certaine forme que l’on nomme forme du tout. »

Nous avons vu que Duns Scot avait professé cette singulière opinion, et que les Scotistes l’avaient accueillie avec grande faveur. Le bon sens d’Ockam en fait prompte et rigoureuse justice : « Il faut dire qu’il n’existe pas, outre la matière et la forme, une troisième entité distincte de ces deux-là ; mais il existe une certaine combinaison qui n’est ni l’une ni l’autre de ses parties, en sorte que le composé n’est ni la matière ni la orme ; il est, simultanément et conjointement, la matière et la forme unies ensemble… Pour tout composé qui est, par lui-même, une chose une, il est absolument vrai que ce composé, ce sont ses parties prises simultanément et conjointement, en sorte que Le tout n’est pas autre chose que ses parties existant ensemble. »

Dans une substance, la matière est-elle unie à une seule forme substantielle ou à plusieurs formes de cette catégorie ?

« Si l’on admet[2], en un composé, l’existence d’une seule forme substantielle, cette forme doit informer immédiatement la matière sans qu’aucune disposition accidentelle la précède. Si l’on sup-

  1. Guilhelmi de Ockam, Op, laud., cap. XXV ; éd. cit., fol. 8 (marqué 7), coll. c et d.
  2. Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros Sententiarum annotationes ; Lib. IV, quæst. VII ; ad secundam probationem opinionis.