Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
608
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

forme substantielle, on emploierait un langage plus propre qu’en disant : la matière est en puissance à l’égard de la forme substantielle… »

L’un des axiomes du Péripatétisme est le suivant : « La matière première ne tient son existence que de la forme. » Il entraîne, en particulier ce corollaire : La matière première ne peut exister sans la forme. Voici[1] ce qu’Ockam pense d’un tel axiome : « Le mot existence se prend en deux sens. En un premier sens, il signifie l’information d’une chose par une autre chose. En un second sens, il signifie qu’une certaine chose existe en la nature.

» Si l’on prend le mot existence au premier sens, il est vrai que la forme donne l’existence à la matière, car cela veut simplement dire que la forme informe la matière.

» Mais si l’on prend le mot existence au second sens, la proposition en question n’est plus vraie ; bien au contraire ; la matière a une certaine existence, c’est-à-dire qu’elle est un certain être qui existe vraiment au nombre des choses naturelles avant que la forme ne soit ; et cette existence de la matière n’éprouve aucun changement, quelles que soient les variations de ses formes ou de ses existences formelles. »

« On demandera peut-être[2] si quelque chose de la forme préexiste en la matière. Ce quelque chose, les uns le nomment puissance active de la matière et les autres germe (tncftoalto) de la forme. Il semble, en elfet, à beaucoup de modernes que des germes de iormes préexistent en la matière, et que ces germes deviennent ensuite des formes parfaites… »

Ces germes de forme, Ockam en nie absolument l’existence.

« Si quelque partie de la forme préexistait en la matière, écrit-il, et qu’une autre partie vînt s’adjoindre à celle-là, la forme substantielle serait vraiment susceptible de plus et de moins. La blancheur, elle, est susceptible de plus et de moins, parce qu’un corps possédant déjà un certain degré de blancheur, reçoit un nouveau degré de blancheur qui fait, avec le degré préexistant, une blancheur unique. Mais une forme substantielle n’est point susceptible de plus ni de moins ; une partie d’une telle forme ne saurait donc précéder la forme parfaite.

» Mais, dira-t-on peut-être, ce qui préexiste en la matière, ce n’est pas une partie de la forme ; c’est la forme entière, mais avec

  1. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Pars I, cap. XVII ; éd. cit, , fol, 6, col. c.
  2. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Pars I, cap. XXIV ; éd. cit., fol. 8 (marqué 7), coll. a et b.