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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

l’opinion selon laquelle les principes des substances sont des universaux.

» Les principes ne sont pas des universaux ; ce sont des êtres singuliers qui, en des choses engendrées différentes, sont numériquement différents. La forme de la chose engendrée que voici est premier principe de cette chose-ci, et la forme de la chose engendrée que voilà est premier principe de cette chose-là ; et il en est de même de la matière, car ma matière première est autre que votre matière première. »

Les Scotistes, eux aussi, admettaient, qu’en des choses engendrées différentes, il y avait des matières premières différentes, mais parce qu’elles provenaient d’une matière première universelle qu’ont diversement contractée les hœccéités des choses singulières[1]. Seul, le langage de Duns Scot annonçait celui qu’Ockam vient de tenir avec tant de clarté et de fermeté.

« La matière est une entité actuelle en acte[2]. Ipsa est actualis entitas in actu. » Si l’on dit, comme le font les Péripatéticiens, « que la matière est en puissance de tout acte substantiel, qu’elle n’a, de soi, aucun acte mais est pure puissance », cette proposition pourra être admise à la condition que l’on y entende par acte, la forme substantielle qui vient s’adjoindre à la matière, et par puissance, la puissance précisément opposée à cet acte-là. Mais elle ne serait plus vraie si l’on prenait acte au sens large où il désigne tout ce qui existe vraiment. « La matière, alors, est un certain acte, c’est-à-dire que la matière est quelque chose qui existe en la nature ; et elle n’est pas en puissance de tout acte, car elle n’est pas en puissance d’elle-même. »

Faut-il, de la matière même, distinguer la puissance qui est en la matière ? Cette opinion, si nettement formulée par Henri de Gand et par Richard de Middleton, et, sous des formes diverses, admise par nombre de leurs successeurs, Guillaume d’Ockam la rejette absolument. « La puissance n’est pas[3], comme beaucoup l’imaginent, une certaine chose qui existe en la matière… Il faut donc affirmer que la puissance n’est pas une chose qui existe en la matière, mais qu’elle est la matière elle-même ; la matière, c’est la puissance même à l’égard de la forme substantielle ; si l’on disait : la matière est la puissance à l’égard de la

  1. Francisci de Mayronis Scriptum super secundum librum Sententiarum, Dist. XIII, quæst. III ; éd. cit., fol. 148, col. c.
  2. Guilhelmi de Ockam Op. laud, , Pars I, cap. XVI ; éd. cit., fol. 5, col. d, et fol. 6, col. a.
  3. Guilhelmus de Ockam, loc, cit, éd. cit., fol. 6, col. b.