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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

forme, et qu’elle la possède en second lieu. Ainsi il résulte des propres paroles du Philosophe que ces deux mots, la privation, et ce qui est privé, sont employés pour désigner une même chose. »

La matière et la forme sont donc les deux seuls principes constitutifs des corps soumis à la génération et à la corruption. Étudions-les.

« Bien que, d’une certaine manière[1], le Philosophe admette trois principes et que, d’une autre manière, il n’en admette que deux, il n’entend pas cette supposition dans le sens qu’elle semble tout d’abord avoir, au pied de la lettre, dans le sens où les modernes l’entendent. Il ne veut pas dire qu’il existe deux choses qui soient les principes premiers de toute génération et de tous les êtres engendrés… Il entend qu’en chaque génération, pour chaque être engendré, il y ait deux principes, la matière et la forme, qui sont, par eux-mêmes, premiers ; mais qu’à des êtres engendrés divers correspondent des premiers principes divers, de telle sorte qu’il y ait, pour chaque chose engendrée, deux principes premiers, savoir la matière et la forme de cette chose engendrée. Cette chose engendrée-ci a donc ses principes premiers et cette chose-là a les siens. Deux choses engendrées différentes ont des premiers principes différents, encore qu’un même premier principe puisse, comme on le dira plus loin, appartenir à diverses choses engendrées qui se succèdent l’une à l’autre.

» Mais comment donc Aristote peut-il dire qu’il y a seulement deux principes ?… Répondons que cela signifie qu’il y a seulement deux genres de principes par soi, la matière et la forme, en sorte que tout ce qui est principe par soi est ou matière ou forme ; mais ces deux genres ne sont nullement les principes des choses qui existent hors de l’esprit ; ce sont seulement des noms communs aux principes des choses, principes qui offrent autant de variété que les choses engendrées elles-mêmes…

» Dira-t-on que ces premiers principes sont des principes universels communs à toutes les choses singulières ? À l’encontre de cette opinion, Aristote écrit, au VIIe livre de la Métaphysique, qu’aucun universel n’est substance ; aucun universel ne saurait donc être principe par soi d’une chose singulière… Puisque le Philosophe réprouve intentionnellement l’opinion de ceux qui regardent les universaux comme des substances, il faut rejeter

  1. Gihlhelmi de Ockam Op. laud., pars I, cap. XIV ; éd. cit., fol. 5, coll. b et c.