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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

il serait intéressant de les décrire ici en détail ; mais cette besogne nous entraînerait trop loin. Plusieurs fois, d’ailleurs, dans la suite de cet ouvrage, nous aurons occasion de rappeler la doctrine des Summulæ. Bornons-nous, pour le moment, à résumer ce qu elles enseignent au sujet de la matière et de la forme, en complétant, au besoin, cet enseignement par celui des Questions sur les Sentences ou des Quodlibeta. Sans étonnement, nous y reconnaîtrons mainte trace de l’influence exercée par Henri de Gand et par Duns Scot.


VII
La matière et la forme

La première tâche qu’accomplisse Guillaume d’Ockam est une œuvre de simplification ; la Physique péripatéticienne reposait sur une trinité de notions ; la matière, la forme et la privation étaient, selon le langage d’Antonio d’Andrès, les trois principes de cette Physique. Ockam ramène cette trinité à une dualité ; sans pitié, il montre tout ce qu’il y avait d’illusoire et de purement verbal dans les considérations par lesquelles Aristote faisait, de la privation, un élément essentiel des choses[1]. « Il faut remarquer, dit-il[2], que, par êtres divers, Aristote entend diverses définitions exprimant une chose ; ces définitions équivalent à des mots divers, mais souvent ces mots divers supposent et désignent une même chose. Par ces êtres divers, homme et non-musicien, par exemple, il entend les deux définitions qui équivalent à ces deux mots : homme, et non-musicien ; mais ces deux mots remplacent le même objet, car c’est le même qui est homme et qui est non-musicien… La seule absence de la forme n’entraîne aucune pluralité en la matière, et de la présence de la forme, il ne résulte aucune pluralité autre que celle de la matière et de la forme. Puis donc que la forme, par son absence ou sa présence, rend suffisamment compte du changement, aucune pluralité n’est requise par ce changement, sinon que la forme ne soit pas, tout d’abord, présente en la matière, et qu’elle soit, ensuite, présente en cette même matière. Ces deux choses, la matière et la forme, suffisent, dès lors, à rendre compte du changement ; elles suffisent pour qu’en premier lieu, la matière soit dépourvue de la

  1. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Pars I, capp. VIII, IX, X, XI, XII et XIII.
  2. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Pars I, cap. XII ; éd. cit., fol. 4, coll. c et d.