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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

m’interrogent au sujet des questions difficiles de la Physique, j’ai accoutumé de donner les réponses que me suggère ma faible intelligence ; ils affirment qu’elles leur plaisent et les jugent suffisantes. Aussi m’ont-ils demandé de les réunir en une petite Somme, en suivant exactement les traces d Aristote, et de les confier à l’écriture. La sincère affection que j’éprouve pour eux me presse de rendre ce service à leurs études. L’œuvre que je vais aborder est considérable et surpasse mes forces. Tout ce qui me semblera bon à dire en Physique, suivant les principes d’Aristote, je vais, en l’écrivant, le confier à la mémoire des lecteurs.

» Que tous ceux qui verront cet opuscule sachent bien ceci : Il ne s’y trouve rien que je soutienne en y croyant fermement, à titre de vérité théologique ou catholique. J’y découvrirai seulement à ceux qui m’ont sollicité, et cela en un style tout simple et dénué de recherche, ce qui me paraît utile à dire, selon l’intention d’Aristote. Tout ce qui se trouvera traité par la suite et qui ne contredit pas la vérité chrétienne est, à mon avis, véritable. Toutefois, tout ce qui pourrait être en contradiction avec la doctrine de l’Église romaine, je le regarde comme erreurs à rejeter. »

Ce préambule pourrait faire croire au lecteur que Guillaume va suivre de tout près, en ses Summulæ, l’enseignement donné par la Physique d’Aristote. Il n’en est rien. Cet enseignement, il le fait passer au crible de sa critique et nen garde que ce qui lui semble bon.

Les règles que le Docteur franciscain mit en cette critique de la Physique péripatéticienne sont, d’ailleurs, pleines de mesure et de bon sens. « Il faut savoir à ce sujet, écrit-il[1] qu’Aristote et Saint Augustin font souvent usage de discours impropres, figurés, topiques ; aussi dit-on communément que les paroles des auteurs doivent être prises au sens qui les a fait prononcer, non au sens qu’elles engendrent [en celui qui les écoute]. Il faut donc s’attacher plutôt à l’intention de ces discours qu’aux mots qui les composent. Il y a plus ; ces mots ont souvent besoin d’être expliqués ; faute d’être expliques dans le juste sens, ils sont tout simplement faux. Cette explication dont les auteurs ont besoin, on la doit tirer en partie de leurs écrits authentiques, et en partie de ce qui est évident et manifeste à la raison. »

Les modifications et les simplifications qu’une semblable critique introduit dans la Physique d’Aristote et de ses successeurs,

  1. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Pars I, cap. XIII ; éd. cit., fol. 5, col. a.