Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
603
GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

différents, il n’est pas étonnant que l’on ne trouve pas toujours les mêmes sujets. On est surpris, cependant, de voir Ockam ne pas dire un seul mot de questions qu’Aristote avait examinées et qui, au xive siècle, n’avaient rien perdu de leur intérêt, au contraire ; tel le problème de l’infini, tel celui du vide, dont, plus ou moins complètement, traitaient les Quæstiones ; telle encore la théorie du mouvement des projectiles, qu’Aristote avait exposée au huitième livre de la Physique et sur laquelle, en son commentaire aux Sentences, Guillaume avait écrit des pages d’un si ferme bon sens. De cet étonnement, on passerait volontiers a la pensée que les Summulæ sont un ouvrage inachevé.

Cette conjecture en engendre aisément une autre. Si Ockam n’a pas mis la dernière main à son traité de Physique, n’est-ce pas parce que sa querelle avec Jean XXII l’en a empêché ? Les Summulæ ne seraient-elles pas contemporaines des dernières discussions quodlibétiques, une des dernières œuvres que le professeur franciscain ait produites avant de rompre avec le pape ? Cette rédaction tardive expliquerait la maturité du fond et la perfection de la forme qui se manifestent également en cet écrit.

Toutefois, d’autres considérations nous porteraient à faire des Summulæ un ouvrage plus ancien. La théorie du lieu qu’elles exposent se retrouve, textuellement reproduite, au Tractatus de successivis ; mais ce dernier ouvrage expose en détail une théorie du temps dont les Summulæ contiennent seulement l’ébauche. Il semble donc que les Summulæ soient antérieures au Tractatus de successivis.

D’autre part, les théories du lieu et du temps, nous paraissent, aux Quæstiones super librum Physicorum, plus complètement approfondies qu’au Tractatus de successivis.

L’ordre chronologique de ces trois ouvrages serait alors le suivant :

1o Les Summulæ in libros Physicorum.

2o Le Tractatus de successivis.

3o Les Quæstiones super librum Physicorum.

Les Summulæ seraient le plus ancien ouvrage qu’Ockam ait écrit sur la Physique. C’est, d’ailleurs, ce qu’il paraît nous déclarer.

« Sludiosissimi, » dit Ockam[1], s’adressant, dès le début de son ouvrage, à ceux qui le liront. « J’ai été, de la part de très nombreux lettrés, l’objet d’une foule de sollicitations. À ceux qui

  1. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Pars I, proæmium ; éd. cit., fol. I, col. a.