Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
601
GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

Dieu soit la cause efficiente de quelque effet que ce soit, ni qu’il en soit la cause finale[1].

Dans ses Quætiones super librum Physicorum, postérieures aux Quolibets dont nous venons d’invoquer le témoignage, le Venerabilis inceptor n’hésite pas à déclarer irrecevable la preuve de l’existence de l’Être nécessaire qu’Avicenne avait construite. « On ne peut prouver d’une manière suffisante, dit-il[2], qu’il n’y ait pas progrès à l’infini dans une suite de causes efficientes dont chacune est successivement causée par une autre. — Non potest sufficienter probari quin sit processus in infinitum in causis efficientibus quarum una causatur successive ab alia. » C’est la doctrine même des Theoremata. « Le Monde a-t-il pu, de toute éternité, exister par l’effet de la puissance divine ? À cette question je réponds[3] que l’un ou l’autre parti peut être également tenu, et qu’ils ne sauraient être ni l’un ni l’autre réfutés d’une manière suffisante. Que le Monde ait existé de toute éternité, il ne semble pas que cela implique contradiction, bien que Godefroid [de Fontaines] prétende le contraire[4]. »

Impossible également d’établir par un raisonnement péremptoire qu’il y a en nous une forme immatérielle, incorruptible, qui est tout entière en toute partie de notre corps[5] ; impossible d’établir que notre volonté est libre[6] ».

Ainsi les divers ouvrages de Guillaume d’Ockam proclament avec force que la raison humaine ne saurait, à aucune des grandes questions de la Métaphysique, donner une réponse dictée par un raisonnement qui n’implique pas ou quelque affirmation douteuse ou quelque proposition reçue par simple croyance : « Quia in omni ratione tali, accipietur aliquid dubium vel creditum[7]. » Sans l’aide de la foi, l’esprit humain ne pourrait, au sujet de ces questions, échapper au scepticisme.

  1. Guilhelmi de Okam Op. laud., Quodlib. IV, quæst. II.
  2. Questiones magistri Guilhelmi de Okam super librum phisicorum ; quæst. CXXXVI : Utrum possit sufficienter probari principium efficiens per productionem distinctam a conservatione (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms. no 1139, fol. 23, col. a).
  3. Guilhelmi de Ockam Super quatuor Sententiarum libros annotationes, Lib. II, quæst. VIII. — Cf. Quodlibeta septum, quodlib. II, quæst. V.
  4. Guillaume d’Ockam a sans doute mis par erreur le nom de Godefroid de Fontaines à la place de celui d’Henri de Gand.
  5. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta septem, Quodlib. I, quæst. X.
  6. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Quodlib. I, quæst. XVI.
  7. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Quodlib. I, quæst. I.