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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

On ne peut prouver que Dieu est incorruptible, que Dieu est immuable et immobile. On ne peut prouver que Dieu soit exempt de toute grandeur et de tout accident. On ne peut prouver que Dieu soit infini en intensité.

Selon les Theoremata, donc, les propositions qui ont été formulées sur Dieu ou sur lûme par la Philosophie antique, et qui s’accordent avec la foi chrétienne, ne sont point susceptibles de démonstration péremptoire ; celles qui contredisent au dogme catholique ne sont pas passibles de réfutation convaincante ; il va sans dire, d’ailleurs, que la raison naturelle ne saurait prouver ce qui contredit à la révélation. Dès lors, en tous les grands problèmes au sujet desquels de si longs débats ont été soulevés, la Philosophie en est réduite à garder cette altitude hésitante que Maïmonide et Thomas d’Aquin lui avaient imposée à l’égard de l’origine du Monde ; elle doit demeurer en balance entre deux solutions contradictoires, inhabile à découvrir une raison décisive qui l’entraîne soit d’un côté soit de l’autre, incapable d’imposer à l’esprit humain une conviction que la foi seule lui peut donner. Les Theoremata sont l’expression de la lassitude et du dégoût qu’éprouve la Scolastique latine, après un siècle de discussions passionnées et stériles provoquées par la Métaphysique péripatéticienne ou néoplatonicienne, par la philosophie des Hellènes et des Arabes. De cette même lassitude, d’ailleurs, de ce même dégoût et de cette même méfiance, les écrits de Pierre Auriol et de Jean de Bassols nous ont apporté maint autre témoignage.

Cette impuissance à laquelle les Theoremata pensaient que la Philosophie était réduite en une foule de circonstances, et des plus graves, Guillaume d’Ockam la regarde comme établie. Il prend fermement le parti du scepticisme que les Theoremata formulent pour combattre les démonstrations que Scot a développées en ses autres écrits ; c’est là l’objet de bon nombre de ses questions quodlibétiques.

Ainsi, il n’hésite pas à affirmer[1] que, bien loin de pouvoir démontrer avec certitude i unité de Dieu, la raison naturelle est incapable de donner une preuve sans réplique de l’existence de Dieu. Comme les Theoremata, il refuse avec insistance[2], à la Philosophie, la faculté de prouver avec rigueur que Dieu est doué d’une force infinie ; et, d’ailleurs, elle ne saurait prouver[3] que

  1. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta septem, Quodlib. I, quæst. I.
  2. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Quodlib. II, quæst. II ; quodlib. III, quæst. I ; quodlib. VII, quæstt. XVII, XVIII, XIX, XX, XXI.
  3. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Quodlib. II, quæst. I.