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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

la première proposition et que l’on adopte la seconde. Gilles de Rome admet pleinement, en cette question, l’opinion de Thomas d’Aquin[1] ; ou plutôt, il pousse la prudence sceptique encore plus loin que le Doctor communis ; il ne va même pas jusqu’à déclarer indémontrable la non-éternité du Monde ; il se borne à constater qu’elle n’a pas été démontrée, même par Henri de Gand.

L’attitude prise par Gilles de Rome est, semble-t-il, celle qu’adopte Guillaume Varon ; c’est assurément celle que garde le Docteur Subtil.

Duns Scot expose[2] toutes les raisons que l’on peut invoquer en faveur de chacun des deux avis, et aussi les répliques par lesquelles on peut ruiner la valeur démonstrative de chacune de ces raisons ; après quoi il demeure en suspens sans formuler aucune conclusion.

Jean de Bassols avait nettement déclaré que la Philosophie ne pouvait, hors la foi, nous donner aucune assurance touchant l’éternité ou la non-éternité du Monde, tandis que François de Meyronnes se borne[3], comme le Docteur Subtil, à opposer, sans conclure, les arguments qui prétendent établir l’une ou 1 autre des deux thèses en présence, et les réponses qu’on leur peut taire.

Mais cette question de l’éternité du Monde n’est pas la seule où Scot regarde la Philosophie comme incapable d’atteindre à la certitude, si la Doctrine chrétienne ne lui vient en aide.

Au sujet de la vie future de l’homme, par exemple, Scot formule trois propositions dont l’ensemble constitue la thèse qu’il croit vraie[4] ; ces propositions sont les suivantes :

L’âme intelligente est la forme propre du corps humain ;

L’âme intelligente est immortelle ;

La forme spécifique de l’homme ne demeurera pas toujours séparée du corps.

Après une longue argumentation, le Docteur Subtil conclut en ces termes :

« Ces trois propositions seraient propres à former un raisonnement capable de prouver, en quelque sorte a priori, la résurrection, car elles sont tirées de la forme même de l’homme qui doit ressusciter. De ces trois propositions, la première est connue par

  1. Ægidii Romani Opus super secundo libro Sententiarum, Dist. I, pars I, quæstt. XIII et XIV
  2. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense, Lib. II, Dist. I, quæst. III.
  3. Francisci de Mayronis Scriptum super secundum librum Sententiarum, Dist. XLIV, quæst. I et II ; éd. Venetiis, impensa hæredum Octaviani Scoti, 1520 ; fol. 159, coll. c et d, et fol. 160, col. a.
  4. Joannis Duns Scoti Scriplurn Oxoniense, Liv. IV, Dist. XLIII, quæst. II.