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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

suffit de démonter, pour ainsi dire, les termes qu’ils ont agencés et d’en séparer les pièces. Contre cette méthode critique, il n’est pas de verbalisme qui tienne.


V
Ockam et l’incertitude de la Métaphysique

Duns Scot eût certainement encouragé son disciple à lutter contre ce réalisme outré qui, bien à tort, se croyait fidèle à la pensée du Docteur Subtil. Il est vraisemblable qu’en une foule de circonstances, il eût également approuvé les réserves qu’opposait Ockam à toute confiance excessive en la portée du raisonnement philosophique.

Parmi les questions que les philosophes ont maintes fois agitées, il en est qu’il ne fallait point poser, qui ne sont pas sensées, qui ne comportent aucune solution. Tel est, au gré d’Ockam, comme à celui de Roger Bacon ou de Pierre Auriol, le problème de l’individuation.

Il est aussi nombre de problèmes qui sont raisonnables et sensés, que l’homme est naturellement, conduit à poser, mais auxquels la Philosophie est hors d’état de donner une réponse péremptoire ; la solution négative et la solution positive peuvent invoquer, toutes deux, de fortes raisons ; tout au plus se peut-il faire que l’argumentation confère à l’un des deux partis un peu plus de vraisemblance qu’à l’autre ; la foi seule, en ces circonstances, pourra donner à l’homme la certitude que le raisonnement philosophique est incapable de lui procurer. Cette méfiance à l’égard de la sagesse profane va croissant sans cesse parmi les Scolastiques, pour atteindre, en Ockam, son plus haut degré.

Pour retrouver l’origine de cette tendance, il faut, semble-t-il, remonter jusqu’aux réflexions de Maïmonide au sujet de la création. Le Monde est-il éternel ou bien a-t-il été créé ? Le savant rabbin prétend que chacune des deux propositions contradictoires dont se compose cette antinomie peut être également défendue par la Philosophie ; tout au plus le second parti offre-t-il plus de vraisemblance que le premier.

Sous l’influence de Maïmonide, Saint Thomas d’Aquin enseigne, à son tour, avec persistance, que la Philosophie ne saurait dire si Dieu a créé le Monde de toute éternité ou bien si la durée du Monde a eu un commencement ; la foi seule exige que l’on rejette