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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

afin que leur emploi donne plus de grâce au discours ; souvent, en elfet, pour donner plus d’élégance au discours, on y use d’un tel nom plutôt que du verbe dont il dérive. Parfois, aussi, c’est en vue de la brièveté qu’on le prend.

» Un semblable nom ne désigne donc pas une chose absolue (res absoluta) comme le mot homme ou le mot âne. l’réqueminent, il est mis à la place d’une combinaison de plusieurs mots ; ainsi en est-il des mots changement, génération, corruption. Dans cette proposition, par exemple : Le changement est l’acquisition ou la perte de quelque chose, le mot changement est mis à la place d’une certaine combinaison de mots qui est celle-ci : Quand quelque chose change. Partant, cette proposition : Le changement est l’acquisition ou la perte de quelque chose, équivaut à cette autre proposition : Lorsqu’une chose change, elle acquiert ou perd une autre chose tout entière à la fois, et non pas d’une manière successive.

» C’est par ces principes qu’on doit répondre à la question posée. Quand on demande si le changement est une certaine chose, il faut supposer que le nom changement équivaut à cette combinaison de mots : Quand quelque chose change.

Un peu plus loin, Ockam discute une question toute semblable à la précédente[1] : « Cette proposition : Le mouvement est un être, prise au pied de la lettre (de virtute sermonis), doit-elle être regardée comme vraie ? » Pour la résoudre, que fait-il ? Il commence par rappeler les principes que nous venons de lui emprunter. « Ce nom : mouvement, est équivalent à cette combinaison de mots : Quand une chose se meut. Le verbe est est mis, lui aussi, à la place d’un autre verbe. Ainsi cette proposition : Le mouvement est dans le temps, équivaut à celle-ci : Quand une chose se meut, elle acquiert ou perd d’autres choses, non pas toutes ensemble, mais successivement. »

Nous voyons Ockam appliquer le précepte qu’il a formulé ; à chacun des termes qui composent une proposition discutée, il substitue la définition de ce terme et, bien souvent, toute difficulté se trouve aussitôt dissipée. Les disciples de Raymond Lull et de Jean de Duns Scot se complaisaient à fabriquer des noms qu’ils faisaient dériver de verbes, de pronoms, d’adverbes, de propositions ; puis, sous ces noms, ils prétendaient voir des réalités ; pour que leur piperie apparaisse évidente à tous les yeux, il

  1. Guglelmi de Okam Op. laud., quæst, XX t Utrum hæc sit coucedcuda de virtute sermonis : Motus est ens. Ms. cit., fol. 5, col. d.