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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

du lieu et du temps ; ce qu’il y dit du lieu est textuellement reproduit aux Summulæ physicorum ; mais ce qu’il y enseigne au sujet du mouvement et du temps ne se retrouve point ailleurs.

C’est en traitant du mouvement d’altération que le franciscain anglais en vient aux prises[1] avec des philosophes qui, dans la non-simultanéité (non-simultaneitas) des parties d’un tout, prétendaient reconnaître une chose réelle : « Si l’on nous dit que cette non-simultanéité des parties est quelque chose, car elle exprime que les parties ne sont pas toutes ensemble, nous répondrons : Cette fabrication de noms au moyen d’adverbes et d’autres termes syncatégoriques (syncathegorenmnata) engendre une foule de difficultés et induit beaucoup de gens en erreur. Beaucoup de gens s’imaginent, en effet que, de même qu’il y a des noms distincts les uns des autres, il y a des choses, distinctes les unes des autres, qui leur correspondent, de telle sorte qu’entre les choses

noms qui les signifiées, il y ait distinction comme entre les noms qui les désignent ; cependant, cela n’est pas vrai ; il arrive, parfois, que les choses signifiées sont les mêmes, bien qu’il y ait diversité dans la manière de parler. Aussi la non-simultanéité n’est-elle pas une chose autre que les choses qui peuvent être ensemble, mais elle signifie que ces dernières choses ne sont pas ensemble. Partant, en nos temps modernes, à cause des erreurs qui sont nées de l’usage des termes abstraits, il vaudrait mieux, en faveur des simples, ne point se servir de termes abstraits ; il vaudrait mieux employer les verbes et les autres termes syncatégoriques tels qu’ils ont été d’abord institués que de fabriquer de semblables termes abstraits et d’en faire usage. Je dis plus : Si l’on ne se servait point de semblables termes abstraits, il n’y aurait plus grande difficulté en l’étude du mouvement, du changement, de l’instant et d’autres sujets de même sorte. »

Voyons, en effet, comment Ockam use de ces principes lorsqu’il veut étudier le changement subit ou le mouvement.

Une de ses Questions sur le livre des Physiques[2] est ainsi formulée : « Le changement subit est-il une certaine chose ? » Voici les considérations générales qui précèdent et préparent la réponse :

« Les noms qui dérivent de verbes ont été parfois introduits

  1. Guilhelmi de Ockam Tractatus de successivis, cap. I : De motu ; ms. cit., fol. 132, col. d.
  2. Questiones magistri Guilhelmi de Ockam Super libram phisicorum ; quæst. X : Utrum mutalio subita sit aliqua res (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms. no 1139, fol. 2, col. d).