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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

corps qui échauffe au corps qui est échauffé[1], la relation de la connaissance que nous avons d’un certain objet à cet objet connu[2], autant de petites choses distinctes. Tels étaient les étranges enseignements d’un Scotisme qui avait poussé à l’excès le goût de ses fondateurs pour les distinctions subdivisées à l’infini, en même temps qu’il en avait entièrement perdu la clairvoyance métaphysique.

C’est contre ce Scotisme dégénéré et tombé dans le ridicule que luttait le bon sens de Guillaume d’Ockam ; c’est à ce pullulement de « petites choses » qu’il opposait sans relftche son principe favori[3] : « La pluralité des êtres ne doit pas être admise sans nécessité, Pluralitas non est ponenda sine necessitate. » D’ailleurs, à cette doctrine insensée, il se contentait, bien souvent, d’opposer le jugement du sens commun. La similitude[4] qui existe entre deux objets semblables n’est pas une certaine petite chose distincte de ccs objets ; « c’est pourquoi les laïcs, qui ne comprennent rien aux relations, disent que deux hommes blancs sont semblables tout comme ils disent que ces deux hommes sont blancs, ce qui ne serait point vrai si la similitude était une certaine petite chose à laquelle le laïc n’entend rien. » En effet, si les échos des disputes d’école parvenaient quelquefois jusqu’aux oreilles des laïcs, ceux-ci devaient, dès le temps de Guillaume d’Ockam, se gausser fort de ces innombrables « petites choses », chères aux Scotistes ; en tous cas, les Humanistes de la Renaissance ne se lasseront pas d en faire des gorges chaudes.

Contre cette méthode métaphysique déplorable qui ne cesse de fabriquer des termes abstraits, puis, sous les mots qu’elle a forgés, de voir des réalités, Ockam s’élève sans trêve comme sans merci. De scs divers traités, on pourrait extraire maint témoignage de sa sévérité à l’égard d’une telle déraison. Bornons-nous à en citer un que nous tirerons du Tractatus de successivis.

Le Tractatus de successivis est un remarquable opuscule qui, croyons-nous, n’a jamais été imprimé, mais dont nous avons pu consulter un texte manuscrit[5]. L’auteur y traite du mouvement,

  1. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta ; quodlib. VI, quæst. XIII.
  2. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta ; quodlib. VI, quæst. XIV.
  3. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta ; quodlib. VI, quæst. X.
  4. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta ; quodlib. VI, quæst. VIII.
  5. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms, no 16130 (olim, Sorbonne, no 916. Fol. 131, col. b, inc. : Quia communis opinio est quod motus, tempus et locus sunt quedam res alie a mobili et locato… — Fol. 140, col. c. : Et sic contingit successive verificari contradictoria. Explicit tractatus de successivis editus a Guillelmo Ocham. — Au § II, on trouvera des renseignements sur l’important manuscrit qui renferme ce traité.