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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

IV
La lutte d’Ockam contre les excès des Scotistes

Les Scotistes qu Ockam avaient rencontrés à Oxford, ceux à l’encontre desquels il avait eu à démontrer que l’être connaissable et l’être connu ne sont nullement des existences réelles, ne semblent pas avoir eu les raffinements métaphysiques d’un François de Meyronnes. Guillaume paraît s’être heurté à Paris à un Scotisme encore plus grossier. Si le Docteur Subtil aimait à distinguer une foule de formalités, il avait soin, du moins, de les regarder simplement comme des concepts. Ces formalités, François de Meyronnes les transportait hors de l’esprit, mais il ne leur attribuait qu’une existence quidditative, tout autre que l’existence réelle. Ces distinctions entre les formalités et les réalités, entre les réalités et les choses, étaient trop déliées pour se laisser exactement saisir par la foule de ceux qui se croyaient disciples de Scot ; en toutes ces formalités, leur réalisme quelque peu obtus voyait tout simplement des choses, mais des choses plus menues et moins faciles à apercevoir que les autres ; aussi les nommaient-ils des petites choses, parvæ res.

Toute analyse logique, pratiquée en n’importe quelle notion, donnait alors naissance à une multitude de petites choses. Combien nombreuses et combien étranges étaient ces petites choses imaginées par les Scotistes, on en peut avoir idée en lisant certaines discussions quodlibétiques soutenues par Ockam[1].

Toute relation entre deux choses devenait une troisième petite chose distincte des deux premières. Entre deux objets, la ressemblance ou la dissemblance constituait une certaine petite chose qui différait de l’un comme de l’autre de ces deux objets[2] ; il en était de même de 1 égalité ou de l’inégalité[3]. Si une chose était le double ou la moitié d’une autre, c’était grâce à l’existence d’une troisième petite chose, la dupleilas ou la dimedietas[4]. La diversité, la distinction, l’identité, autant de petites choses qu’il ne fallait pas confondre avec les deux objets qui étaient identiques entre eux ou différents l’un de l’autre[5]. La relation du

  1. Gulhelmi de Ockam Op. laud., quodlib. VI, quæstt. VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV et XV.
  2. Gulhelmi de Ockam Quodlibeta, quodlib. VI, quæst. VIII.
  3. Gulhelmi de Ockam Quodlibeta, quodlib. VI, quæst. IX.
  4. Gulhelmi de Ockam Quodlibeta, quodlib. VI, quæst. X.
  5. Gulhelmi de Ockam Quodlibeta, quodlib. VI, quæst. XI.