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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

doctrine de Duns Scot et de Pierre Auriol est fermement maintenue par leur successeur.

Guillaume, d’ailleurs, ne cessa point de soutenir à Paris la thèse qu’il avait formulée à Oxford. Aussi, en ses Quodlibets, l’entendons-nous condamner toute proposition où l’on distingue entre l’essence et l’individu qui existe d’une manière réelle et concrète. Il accorde[1], par exemple, que cette phrase dit vrai : Socrate a l’humanité ou possède la nature humaine, pourvu que l’on regarde ces mots : Possède la nature humaine, comme synonymes de ceux-ci : Est composé d’une âme et d’un corps. Mais si l’on entend exprimer, par cette même phrase, que Socrate est un sujet qui porte ou contient quelque chose qui serait l’humanité, on énonce une erreur, car l’humanité ainsi entendue est identique à Socrate, et Socrate ne se porte pas, ne se contient pas, ne se possède pas lui-même ; bien que le mot d’essence ne se trouve même pas prononcé ici, on ne saurait dire plus nettement qu’il n’y a pas d’essence distincte des individus concrets, partant pas d’existence essentielle distincte de l’existence actuelle de ces individus.

« En de telles propositions, ajoute notre auteur, il faut mettre la définition à la place du mot, et l’on verra aussitôt quelle proposition il est juste d’accorder et quelle doit être niée. Unde in talibus ponenda est diffinitio loco nominis, et statim apparebit quæ proprie est concedenda et quæ est neganda. »

Dans son opuscule De l’esprit géométrique, Pascal formule trois règles pour les démonstrations ; la troisième est énoncée de la manière suivante : « Substituer toujours mentalement les définitions à la place des définis, pour ne pas se tromper par l’équivoque des termes, que les définitions ont restreints. » De cette règle qui est, contre les paralogismes, la garantie la plus précieuse, on fait souvent honneur au grand géomètre du xviie siècle ; il avait été, on le voit, précédé par Ockam ; celui-ci en use sans cesse ; il en tire la meilleure part de sa puissance critique ; après lui, d’ailleurs, et sans doute grâce à lui, elle demeura classique dans l’École.

  1. Guilhelmi de Ockam Quodlibeta, Quodlib. V, quæst. XI.