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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

« Notre intelligence saisit les choses singulières par une certaine connaissance confuse ; l’intentio commune d’homme, c’est donc une opération par laquelle notre intelligence ne saisit pas un homme plutôt qu’un autre, et cela tout simplement parce que cette connaissance ne ressemble pas plus à tel homme qu’à tel autre homme ; mais par cette connaissance, nous concevons un homme plutôt qu’un âne, et cela parce que cette connaissance, par un certain mode d’assimilation, ressemble plus à un homme qu’à un âne.

» Je dis par conséquent qu’une infinité de choses singulières peuvent être conçues par une seule connaissance confuse de cette sorte. De même, une infinité de choses peuvent être aimées d’un amour unique ; quelqu’un peut aimer toutes les parties d’un continu, parties dont la multitude est infinie ; il peut désirer que toutes les parties d’un continu gardent une existence durable, et ne le pas désirer plus pour l’une que pour l’autre. C’est de la même manière qu’on seul et même nom peut désigner une infinité de choses, sans connaissance particulière de chacune de ces choses dont la multitude est infinie. C’est ainsi que ce mot : homme, désigne une infinité d’hommes ; et cependant la connaissance que ce mot représente n’est propre à aucun de ces hommes en nombre infini ; elle ne permet pas de distinguer un individu d’un autre ; aucune proposition ne correspond à une ressemblance spéciale que cette connaissance aurait avec tels individus et point avec tels autres. »

Que sera donc, en notre esprit, une proposition universelle telle que celle-ci : L’homme est un animal ?

« Dans l’intelligence, une proposition est un composé de plusieurs actes intellectuels (compositum ex multis actibus intettigendi), Par exemple, cette proposition mentale : L’homme est un animal, n’est rien d’autre que ceci : L’acte par lequel nous concevons confusément tous les hommes ; l’acte par lequel nous concevons confusément tous les animaux ; et aussi un acte qu1 correspond à la copule : est.

» D’une autre manière, on peut dire qu’une proposition mentale, c’est un acte unique qui équivaut à trois tels actes, existant tous ensemble dans l’intelligence. Selon cette façon de parler, une proposition n’est plus réellement un composé ; c’est un composé par équivalence ; c’est-à-dire qu’elle équivaut au composé dont nous avons parlé. »

Au gré d’Ockam, donc, un concept universel est comme ces portraits collectifs qui, à force d’être flous et indécis, rappellent