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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

(esse objectivum)[1]. Pour Ockam, d’ailleurs, comme pour tous les Scolastiques, cette dernière expression a précisément le sens que nous attribuons aux mots existence subjective.

« À cette question, je réponds brièvement non. » Pour quelle raison, en effet, croit-on à cette « idole » universelle des choses réelles et singulières qui existerait dans l’âme, et seulement dans l’âme ? C’est afin de construire des propositions universelles où cette « idole » tienne la place des choses réelles (supponat pro re), et qui deviennent ainsi applicables à chacune de ces choses. Mais, pour cela, point n’est besoin d’avoir recours à cette idole ; l’opération même par laquelle l’esprit conçoit les réalités extérieures, l’intentio suffit parfaitement à jouer ce rôle. « Cette idole diffère plus de n’importe quelle chose que deux choses quelconques ne diffèrent entre elles ; en effet, un être réel et un être de raison différent plus l’un de l’autre que deux être réels ne diffèrent entre eux ; cette idole ressemble donc moins à la chose que l’intentio ne lui ressemble ; partant elle est, moins que l’intentio, capable de prendre la place de la chose ; elle a, moins que l’intentio, la nature d’un universel ». Toutes les propriétés qu’on lui veut attribuer « conviennent mieux à l’intentio qu’à cette idole » ; c’est donc supposition superflue que d’admettre la composition, au sein de l’intelligence, d’une telle idole des choses : « Superflue quare ponitur tale ydolum confictum. »

Le concept n’est donc pas une chose distincte des choses conçues[2]. Qu’est-ce donc alors qu’on entend par ces mots : Concept commun ? Est-ce quelque opération générale de l’esprit, une intentio generalis[3] ? Oui, dit Ockam. « Quand des choses doivent rendre vraie une proposition, si deux choses suffisent à produire cet effet, il est superflu d’en mettre trois ; mais la chose conçue (intentus) et l’opération par laquelle elle est conçue (intentio) suffisent à vérifier toutes les propositions » relatives au concept commun ; il est donc inutile de rien imaginer d’autre.

Quelle idée faut-il se faire de cette opération de l’esprit, de cette intentio, qui est la seule réalité désignée par ces mots : Un concept commun ? Ockam va nous le dire :

  1. Questiones magistri Guglelmi de Okam super librum phisicorum ; quæst. I : Utrum conceptus sit aliquid fictum habens tantum esse objectivum in anima ; Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms. no 1139, fol. I, col. a.
  2. Guglelmi de Okam Op. laud., quæst. II : Utrum conceptus sit res extra concerta ; loc. cit.
  3. Guglelmi de Okam Op. laud., quæst. VI : Utrum conceptus communis sit intentio generalis ; ms. cit., fol. I, col. d, et fol. a, col. a.