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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

paraissent mal formulées. » Il réfute donc rapidement l’opinion de Scot, et poursuit en ces termes :

« Je donne à cette question une autre réponse et, tout d’abord, j’énonce cette conclusion : C’est par elle-même que toute chose singulière est singulière (quœlibet res singularis seipsa est singularis)…

» Toute chose qui est extérieure à notre âme est singulière par elle-même ; sans que rien vienne s’y ajouter, elle est ce que dénomme immédiatement un terme entendu comme singulier… Toute chose hors de l’âme est, par elle-même, cette chose individuelle que voici (quælibet res extra animam seipsa erit hæc) ; il n’y a pas à chercher une autre cause d’individuation si ce n’est, peut-être, des causes extrinsèques dans le cas où l’individu est un composé ; il faut bien plutôt chercher la cause en vertu de laquelle quelque chose peut être commun et universel. »

Nous retrouvons ici, sous la plume de Guillaume d’Ockam, la pensée de Roger Bacon ; ce problème de l’individuation qui a provoqué tant de débats chez les Hellènes, puis, surtout, chez les Arabes et parmi les maîtres de la Scolastique latine, c’est un problème vain et illusoire, qui ne doit pas être posé ; on ne doit pas demander pour quelle cause les choses réelles sont individuelles « et ideo stultitia magna est in hujus modi quæstione quam faciunt de individuatione » ; Bacon l’avait dit brutalement et, assurément, Ockam le pense, comme Pierre Auriol l’avait pensé avant lui ; l’un et l’autre, en effet, comprenaient de même le problème de l’individuation ou, plutôt, ils niaient de même que ce problème dût être posé.

« Il n’y a pas à chercher une cause d’individuation… Il faut bien plutôt chercher la cause en vertu de laquelle quelque chose peut être commun et universel. » C’est, au problème de L’individuation, substituer le problème de la généralisation. Quelle est, au gré de notre auteur, la solution de ce dernier problème ?

Ockam trouve devant lui une théorie qu’on a fort justement nommée le conceptualisme. Mis en présence des choses réelles, qui sont individuelles, l’esprit, par un travail d’abstraction, en tire une idée générale qui convient également à chacune des choses individuelles.

Le Venerabilis inceptor Academiæ Nominalium brise résolument avec cette doctrine. Dès le début de ses Questions sur la Physique, il se demande : Si le concept est une certaine fiction (aliquid fictum) possédant seulement dans l’âme une existence objective