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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Touchant cette question, dit-il, il existe une opinion que certaines personnes imposent au Docteur Subtil, tandis que d’autres lui imposaient l’opinion qui a été exposée et réfutée en la question précédente. Voici cette opinion :

» L’universel est une chose qui existe hors de l’âme ; cette chose est réellement distincte d’une certaine différence qui la contracte ; mais, par cette différence qui la contracte, elle est diversifiée et multipliée.

» Mais cette opinion paraît, tout simplement, être fausse… Aussi, je réponds à la question posée, qu’il n’y a pas, en l’individu, une certaine nature universelle réellement distincte de la différence qui la contracte [en individus.] »

En réfutant cette doctrine professée par des Scotistes tels qu’Antonio d’Andrès, Ockam a eu bien soin de marquer qu’elle était gratuitement attribuée par eux à leur commun Maître.

Il passe maintenant à l’examen d’une troisième question relative aux universaux[1] :

« Ce qui est universel et univoque est-il réellement hors de l’âme, est-il, par la nature même des choses, distinct de l’individu, bien que cette distinction ne soit pas réelle ?…

» On répond à cette question que dans la chose, et hors de notre âme, il y a la nature ; qu’en réalité, cette nature ne fait qu une seule et même chose avec ce qui la contracte en un individu déterminé, mais qu’elle en est, cependant, distincte formellement ; de soi, cette nature n’est ni universelle ni particulière ; en la chose, elle est incomplètement universelle ; c’est seulement selon la manière d’être qu’elle a en l’intelligence, que cette nature est complètement universelle.

» Cette opinion est, je crois, celle du Docteur Subtil qui, par la subtilité de son jugement, l’emportait sur tout autre ; aussi, je la veux présenter ici distinctement et complètement, tandis qu’il la proposée en divers endroits et d’une manière fragmentaire ; je ne changerai rien aux expressions qu’il emploie en divers lieux. »

Ockam donne, en effet, de la théorie de l’individuation selon Duns Scot, un exposé très fidèle et très complet, textuellement extrait des divers ouvrages de cet auteur ; mais ce n’est pas qu’il compte faire sienne cette doctrine. « Si l’on passe en revue ces propositions, dit-il, on rencontre bon nombre de suppositions qui

  1. Guilhelmi de Ockam Op. laud., lib. II, dist. II, quæst. VI.