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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

La première question[1] que Guillaume pose et résout à ce sujet est la suivante :

« Lorsqu’on emploie un terme universel et univoque, ce qui est immédiatement et directement désigné par ce terme est-il une chose véritable, qui existe hors de l’âme, qui soit intrinsèque et essentielle aux objets auxquels ce terme s’applique d’une manière commune et univoque, et qui, en même temps, soit réellement distincte de ces objets ? »

Guillaume expose, d’abord, l’avis des réalistes platoniciens qui répondent affirmativement.

« Au sujet de cette question, il est, dit-il, une opinion qui affirme ceci : Tout universel univoque est une certaine chose qui existe réellement hors de l’âme, qui existe en chacun des objets singuliers, qui fait partie de l’essence de chacun des objets singuliers, et qui est réellement distincte, à la fois, de chacun de ces objets singuliers et de tout autre universel. Selon cette opinion, l’homme universel est une véritable chose, extérieure à l’âme, qui existe réellement en chaque homme, qui est réellement distincte de chaque homme, et qui, en même temps, est réellement distincte de l’animal universel, de la substance universelle, de toutes les espèces et de tous les genres subordonnés ou non les uns aux autres.

» Ainsi, selon cette opinion, autant il y a de notions universelles qui peuvent être attribuées directement à un objet singulier, autant il y a en cet objet de choses réellement distinctes, dont chacune se distingue réellement, à la fois, et de cet objet singulier, et de toutes les autres [choses universelles qui sont en lui] ; aucune de ces choses-là ne subit, en elle-même, de subdivision, lorsque les objets individuels de même espèce en lesquels elles subsistent viennent à se multiplier. »

En cette opinion, nous reconnaissons le réalisme d’Avicébron ; Ockam la juge avec une impitoyable sévérité : « Cette opinion est tout simplement fausse et absurde. »

Il passe alors à l’examen de cette seconde question[2] :

« L’universel univoque est-il, hors de Tâme, une chose véritable, réellement distincte de l’individu, mais existant dans l’individu, et réellement diversifiée et multipliée [dans les divers individus ? ] »

  1. Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros Sententiarum annotationes ; lib. II, dist. II, quæst. IV,
  2. Guilhelmi de Ockam Op. laud., Lib. II, Dist. II, quæst. V.