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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

du Commentateur ; cela, je ne le révoque pas en doute. Toutefois, je réponds, et je déclare fermement que l’on doit répondre autrement :

» L’âme intellectuelle est la forme substantielle qui donne l’existence au corps humain, et elle est unie à ce corps suivant l’existence même.

» L’existence de cette forme substantielle a un commencement ; non pas qu’elle commence par l’effet de quelque agent particulier qui la tirerait de la puissance de la matière ; elle tient son commencement de l’Agent universel qui est la cause de toute existence, c’est-à-dire du Dieu suprême ; Dieu la produit sans mouvement ni transmutation, sans aucun sujet préexistant, de la même façon qu’il a créé toutes les autres choses.

» Par la vertu divine, cette substance sera perpétuée dans l’avenir, bien que, de soi, elle soit susceptible d’être anéantie.

» Je dis aussi et je tiens fermement pour vrai que cette substance possède certaines vertus naturelles, qui ne sont pas les activités de certains organes corporels, mais qui ont leur fondement immédiat en l’essence même de l’âme ; ces vertus sont l’intelligence en puissance, l’intelligence en acte et la volonté. Ces vertus sont élevées au-dessus de la matière ; elles surpassent en excellence la capacité de la matière corporelle, elles sont transcendantes aux facultés de cette matière, et cela en raison de la substance même de l’âme ; elles sont, en effet, conséquences de cette substance qui ne peut être totalement enfermée en la matière ; bien donc que cette substance soit en la matière, elle garde une certaine action à laquelle la matière corporelle ne participe pas.

» Après la mort, cette substance peut pâtir par l’effet du feu corporel ; elle peut, sur l’ordre du Dieu créateur, être de nouveau réunie à son corps.

» Selon notre loi, toutes les propriétés qui viennent d’être attribuées à cette âme sont véritables, simplement et absolument. Mais de ces propositions, je n’entends point apporter ici de démonstration, et il n’est pas, que je sache, possible de les démontrer. Je pense qu’il les faut croire d’une foi toute simple, et qu’il faut croire de même une multitude de vérités, sans aucune raison démonstrative, sur la seule autorité de la Sainte Écriture prouvée par les miracles divins. En les recevant ainsi, nous acquerrons des mérites ; car les Docteurs enseignent que la foi n’est pas méritoire là où la raison humaine fournit une preuve.

» Quant aux raisonnements des Philosophes, qui semblent contredire à cette doctrine, il les faut délier suivant les prémisses qui viennent d’être posées…