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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

cependant que, de rien, Dieu peut faire et a fait quelque chose ; cela, personne ne le peut nier, mais cela est au-dessus de la nature. »

Averroès a donc fort souvent raison lorsqu’il attaque les théologiens de l’Islam ; mais ses critiques n’ont point d’effet sur la Théologie catholique :

« Sachez[1] que le Commentateur écrit, au sujet de tout ce qui vient d’être dit ; « Tout cela, ce sont des discours d’apologistes, des propos vulgaires que tiennent les théologiens (législatures) ; tout cela est fort éloigné de la vérité et étranger à l’intelligenre humaine ». De même, au prologue du troisième livre des Physiques, il écrit : « Les apologistes de notre Religion, que nous admettons dans les villes, donnent aux esprits des habitudes par lesquelles les principes nécessaires se trouvent corrompus ».

Le Commentateur parle des apologistes de sa Religion, qui est tirée de loi de Mahomet. Mais s’il entendait parler de notre Religion, il mentirait, car tout, en notre Religion, est vrai et prouvé par les miracles de Dieu, du Créateur glorieux. »


I. La liberté.


Un des conflits les plus directs entre la Philosophie péripatéticienne et la foi a pour sujet la liberté. Pour la Philosophie péripatéticienne bien comprise, il ne peut y avoir action libre ni de la part de Dieu ni de la part de l’homme, car il n’y a pas de contingence. Une chose possible, c’est une chose qui sera nécessairement à un certain moment ; une chose qui ne sera jamais, c’est, tout simplement, une chose impossible. Parler, donc, d’une chose qui pourrait être et qui, cependant, ne sera pas, c’est énoncer un non-sens.

« Mais, direz-vous[2], un tel peut être pape avant sa mort, qui, cependant, ne sera pas pape. À cela il faut répondre : S’il ne devient pas pape avant sa mort, c’est qu’il n’a pas possédé la papauté en puissance. Toutefois, selon la foi et la vérité, nous devons dire qu’il y a des choses engendrables, qui peuvent être engendrées et qui ne seront jamais engendrées ; quelqu’un peut vouloir quelque chose qu’il ne voudra pas, peut faire quelque

  1. Joannis de Janduno Quæstiones in libros de Cælo et Muntdo, lib. II, quæst. II ; éd. cit., fol. 24, col. a.
  2. Joannis de Janduno Op. laud., lib. I, quæst. XXXIV ; éd. cit., fol. 22, col. b.