Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
563
LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

concordent cum rebus sensatis), comme le dit le Commentateur au huitième livre de la Physique. Or, à présent, rien n’apparaît à notre sens par quoi nous puissions, d’une manière immédiate ou médiate, être convaincus de l’existence d’un moteur de force infinie et capable de produire un mouvement en un temps nul ; en effet, tout mouvement, toute révolution se fait en un temps déterminé et possède une vitesse déterminée. »

Les thèses de Jean de Jandun sont d’une netteté et d’une fermeté qui ne laissent rien à désirer.

Les propositions qui sollicitent l’adhésion de l’homme sont de deux sortes ; les unes sont d’ordre naturel, les autres d’ordre surnaturel.

Touchant les propositions d’ordre naturel, Jean de Jandun professe un positivisme absolu. Les propositions d’ordre naturel, ce sont celles que formule le Naturalis philosophus, le physicien. Or les seuls principes que le physicien ait le droit d’invoquer, ce sont les principes qui sont justifiés, directement ou indirectement, par la connaissance des choses sensibles ; directement, car le physicien peut s’appuyer sur une vérité que le témoignage des sens rend manifeste ; indirectement, car il peut poser des hypothèses que le sens conduit à admettre, ou bien encore développer des raisonnements dont la justesse a pour contrôle la concordance entre leurs conséquences et les perceptions du sens. De toute façon, la connaissance acquise par la perception sensible est, pour les propositions d’ordre naturel, l’unique source de certitude.

Dès lors, la portée de ces propositions ne saurait, en aucun cas, excéder les bornes du domaine où s’exerce la perception sensible. Lorsqu’un physicien déclare qu’une certaine chose n’existe pas, il veut simplement dire qu’aucun effet accessible aux sens n’en manifeste l’existence ; lorsqu’il dit qu une chose est impossible, il veut seulement affirmer qu’aucun des agents que les sens nous permettent d étudier ne la saurait produire.

Dès là qu’une proposition ne peut être démontrée à l’aide de principes tirés de la connaissance sensible, elle est inaccessible à la raison de l’homme, du moins en cette vie. Pour admettre ou rejeter cette proposition, l’homme n’a plus d’autre motif que l’enseignement de l’Église. Si la foi aux vérités que l’Église nous révèle est méritoire, c’est précisément parce que ces vérités ne sont pas susceptibles de preuves aptes à convaincre la raison, c’est-à-dire de preuves appuyées sur le témoignage des sens. Il faut cependant, pour que notre foi ne soit pas déraisonnable,