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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

ble (les hommes, attribue une intelligence immortelle unique, l’intelligence active. Quelle attitude Jean de Jandun va-t-il prendre à l’égard de cette hérésie ?

Après avoir développé la théorie averroïste de l’intelligence active, il ajoute[1] :

« Voilà ce que le Commentateur répondrait à cette question. Mais bien que cette opinion soit celle d’Aristote et du Commentateur, bien qu’en outre, cette opinion ne puisse être réfutée par raisons démonstratives, cependant, je réponds autrement : Je dis que l’intelligence n’est pas, en tous les hommes, numériquement une ; je dis qu’elle est différente dans les divers hommes et qu’il y a autant d’intelligences que de corps ; je dis que cette intelligence est une perfection qui donne l’existence à chaque homme. Tout cela, je ne le prouve pas par quelque raison démonstrative, car je ne sache pas que cela soit possible ; si quelqu’un sait le démontrer, je l’en félicite. Cette conclusion, j’affirme tout simplement qu’elle est vraie, et c’est par la foi seule que je tiens pour clic sans éprouver aucun doute.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

» Aux raisonnements que l’on objecte contre cette opinion je répondrais brièvement que sont possibles en Dieu toutes les conséquences, réputées impossibles, auxquelles ces raisonnements nous conduisent.

» Le principe, donc, en vertu duquel je tiens la conclusion pour vraie, est aussi celui en vertu duquel je tiens pour véritables toutes les conséquences qui résultent nécessairement de cette conclusion ; et je n’ai pas d’autre raison pour les admettre Il y a plus : Si, de cette thèse, par la vertu de l’argumentation, quelqu’un venait à déduire des conséquences contradictoires, j’aimerais encore mieux admettre ccs conséquences que de renier cette thèse.

» Je crois que quiconque tenterait, d’une autre manière, de délier les raisonnements que l’on peut objecter à cette thèse, par l’insuffisance même de la solution qu’il proposerait, rendrait cette thèse improbable bien plus qu’il ne lui donnerait du soutien. »

De l’attitude que Raymond Lull reprochait aux Averroïstes de prendre, nous avons là, semble-t-il, un saisissant exemple. N’avons-nous pas entendu Jean de Jandun proclamer qu’il tenait pour entièrement assuré par la foi ce que la Philosophie, d’une

  1. Joannis de Janduno Quæstiones in libros de anima ; lib, III, quæst. VII ; éd. cit., fol. 66, col. a.