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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

laquelle il est substance [vivante], et ces formes sont essentiellement et réellement diverses. »

« On peut encore se demander, poursuit Jean de Jandun, si le corps se classe dans le genre substance par une forme dilférente de la forme vitale ou non. » Assurément, contre la supposition de cette corporéité, on peut faire valoir bien des objections que notre auteur énumère ; mais, bien loin de les regarder comme convaincantes, il indique de quelle manière il serait possible de les lever ; de cette discussion, nous extrayons le passage suivant[1] : « Mais, direz-vous, ce corps [qui implique à la fois le corps céleste et les corps sublunaires] ne se trouverait compris en aucune catégorie, ce qui contredit à Porphyre. Les partisans de cette opinion reconnaîtraient que cela est vrai, si le premier genre, le genre le plus général qui se rencontre en la catégorie de la substance, est la substance matérielle et corporelle, subdivisée en corps inanimé et corps animé. Alors, en effet, ce corps qui est exempt de génération et de corruption, puisqu’il est commun au ciel et aux êtres inférieurs, ne se trouverait pas classé eu une catégorie, si ce n’est par voie de réduction ; au ciel, ce corps recevrait le nom de sujet simple ; il y servirait de support aux dimensions et aux autres accidents ; mais il n’y aurait pas là composition d une forme avec une véritable matière, semblable à la composition qui a lieu dans les corps inférieurs ; ce serait par simple homonymie que le corps céleste recevrait ce nom. »

Après avoir indiqué les réponses que pourraient formuler soit les partisans de l’unité de la forme substantielle, soit les tenants de la gradation de cette même forme, notre auteur conclut en ces termes : « Nous ne touchons ici ces solutions qu’à titre probable car, en un tel sujet, il est fort malaisé de parler d’une façon démonstrative. »

Nous venons d’entendre Jean de Jandun formuler la théorie de la pluralité des formes substantielles avec autant d’ampleur que l’eut pu faire Avicébron lui-même ; pour écarter, d’ailleurs, les objections dressées contre cette théorie, il a fait appel, en les généralisant, aux raisons qu Henri de Gand invoquait pour mettre en l’homme deux formes substantielles distinctes. Mais à la doctrine d’Avicébron, il donne, nous l’avons vu, un complément que cette doctrine réclamait, bien que le rabbin de Malaga le lui eût refusé. De même que la forme substantielle du genre reçoit la différence spécifique par une nouvelle forme substantielle, de

  1. Jean de Jandun, loc, cit., col, 437.