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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

sonnable, et il en serait ainsi lors même qu’il n’y aurait aucune intelligence pour le concevoir… En voici la raison : Si l’espèce n’était pas réellement composée de genre et de différence, Les notions qui définissent les espèces seraient des fictions ; cela est évident, car une combinaison intellectuelle est fictive lorsque rien ne lui correspond en la réalité et, à cette combinaison de concepts essentiels (quidditativi) [qui constitue la définition d’une espèce,] rien d’essentiel ne correspondrait. Mais la conclusion est fausse, car le concept qui définit l’espèce n’est pas une fiction… Il faut donc qu’à ces concepts essentiels correspondent, en la réalité, des essences (quidditates) réelles. »

Ces principes si nettement réalistes, notre auteur les regarde comme conformes à la pensée d’Aristote et d’Averroès. « Cela paraît être, dit-il, l’intention d’Aristote et d’Averroès en tous les endroits où ils traitent de ee sujet, car, en la composition de l’espèce, le genre est comme une matière et la différence comme une forme. »

Ainsi voyons-nous surgir de nouveau cette formule qu’Alexandre de Aies repoussait déjà, afin d’éviter les excès réalistes d’Avicébron.

« En l’homme, donc, se trouvent impliquées la formalité de l’animal et la formalité du raisonnable. » Ce que nous venons de dire montre que ces formalités ne peuvent être de simples accidents ; elles sont quelque chose d’essentiel, quelque chose qui prend place dans le genre de la substance ; elles ne sauraient être, d’ailleurs, ni matières, ni substances composées de matière et de forme ; « reste donc que ce soient des formes [substantielles] et que ces formes soient des réalités différentes ».

Mais, selon le Commentateur, toute forme qui advient à un être déjà en acte est une forme accidentelle ; si à la matière déjà mise en acte par la forme substantielle de l’animalité, qui constitue le genre animal, survient la forme rationnelle, qui est la différence spécifique de l’homme, cette dernière forme ne saurait être qu’accidentelle, et non pas substantielle.

La majeure de cette objection est véritable lorsqu’il s’agit « d’une forme qui survient à un être déjà mis en acte par une forme [substantielle] achevée et finale, qui n’attend aucune autre forme plus parfaite. Mais lorsqu’une forme survient à un être déjà mis en acte par une forme générale, encore affectée de puissance (potentialis) qui attend une forme plus parfaite, la nouvelle forme n’est pas forcément une forme accidentelle. Ainsi en est-il dans le cas qui nous occupe… En effet, la forme générique ne