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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

en toutes les substances individuelles, sauf dans les individus séparés de la matière. C’est là une solution probable, bien que peu commune.

» La raison qui justifie cette conclusion est la suivante : Parler d’une substance individuelle, de Socrate, par exemple, en tant qu’il est Socrate, c’est désigner quelque chose de formel, de positif et de réel, [par quoi cette substance individuelle diffère de la nature spécifique], par quoi Socrate diffère de l’homme en tant qu’homme, de même que le concept de Socrate et le concept d homme diffèrent en la raison ; en effet, si ce quelque chose toute, fictive, à laquelle rien ne correspondrait en réalité. Ce quelque chose, qui est réel, doit être une substance ou un accident. Ce ne peut être un accident, car il faudrait dire que Socrate, en tant que Socrate, ne possède qu’une existence accidentelle, ce qui est ridicule et absurde. Ce sera donc quelque chose du genre substance ; mais ce ne peut être une matière ni un composé ; cela est évident, car une matière ne donne pas l’existence, et une substance composée [de matière et de forme] ne la donne pas davantage, ce qui serait ridicule. Il reste donc que ce soit une forme substantielle. Ainsi, il y aurait une certaine forme substantielle par laquelle une substance individuelle serait réellement distincte de tous les autres individus de la même espèce. »

Voilà donc la doctrine que Jean de Jandun regarde comme la plus probable : Comme les Scotistes, il admet qu’en chaque individu, une certaine différence individuelle se trouve adjointe à la nature spécifique. Mais comme il a nié l’existence de la distinction formelle admise par les Scotistes, il ne peut, comme ceux-ci, réduire cette différence individuelle, cette hœccéité, à n’ètre qu’une formalité. Il l’élève donc au rang de forme substantielle.

C’est assez dire que Jean de Jandun se range parmi ceux qui, en un même être, admettent l’existence simultanée de plusieurs formes successives.

Cette théorie, il l’adopte, en effet, pleinement et sans atténuation, d’une manière aussi franche que le pourrait faire le meilleur disciple d’Avicébron.

« L’espèce[1] qui appartient à un certain genre est réellement et véritablement composée du genre et de la différence spécifique… Ainsi l’homme est réellement composé d’animal et de rai-

  1. Joannis de Janduno Op. laud., lib. V, quæst. XXXIV ; éd. cit., coll. 368-380.