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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN


D. L’individuation et la pluralité des formes substantielles.


Le problème de l’individuation occupe, d’ailleurs, notre auteur, à diverses reprises ; la solution qu’il adopte est une sorte de synthèse dos diverses solutions proposées avant lui. Pour construire cette synthèse, il s’applique à montrer que l’on peut et doit attacher plusieurs sens différents à cette question : Quel est le principe d’individuation ? Chacune des réponses qtiï ont été données est juste en ce qu elle éclaircit l’un des sens de la question.

La nature spécifique n’est pas un simple concept ; la nature commune à tous les individus d’une même espèce, de l’espèce homme ou de l’espèce cheval, par exemple, est quelque chose qui existe réellement hors de l’âme[1]. Cependant, elle n’a pas, comme le voulaient les Platoniciens, une existence séparée do celle des individus ; elle existe dans et par les individus.

Cette nature spécifique a son unité qui est réelle, actuelle et. extérieure à notre âme ; cette unité est distincte de l’unité individuelle. Les individus divers qui composent la nature humaine sont donc, par la nature spécifique, un seul et même homme. « Les individus d’une même espèce ne diffèrent pas les uns des autres par soi, c’est-à-dire suivant la nature spécifique, mais pasaccident… Si l’on dépouillait Socrate de tous les accidents qui appartiennent à Socrate, il ne resterait que l’unité spécifique », que la nature humaine commune à tous les hommes.

Ce quelque chose d’accidentel qui survient à la nature spécifique pour la contracter en cet accident de l’espèce que l’on nomme un individu, qu’est-ce ? Voilà un premier sens de cette question : Qu’est-ce que le principe d’individuation[2] ?

Mais cette question a encore un autre sens.

Par l’addition de ce quelque chose d’accidentel à la nature spécifique, se trouvent distingués des individus, des substances individualisées. Par quoi chacune de ces substances individualisées est-elle constituée ? Qu’y a-t-il, en chacune d elles, qui lui soit propre et qui n’appartienne à aucun autre individu de la même espèce ? Voilà un second sens de cette question : Qu’est-ce que le principe d’individuation ? En ce cas, d’ailleurs, cette question serait mieux formulée de la manière suivante : Quel est le principe qui est propre à chaque individu ?

Pris au premier sens, au sens le plus habituel^ le problème de

1. Joannis de Janduno O/ ?. Zcrud, , lib* V, quæst, XII ; éd* cil., Coll. 310-314.

2. J oannis de Jandüno Û/ ? * Zaud^ lib* V1J, q uæst. XV11 ; éd. cit*, coll. 482-502.

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