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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

nion, que l’existence diffère de l’essence ; c’est seulement en toute substance susceptible de génération et de corruption que l’existence et l’essence sont différentes. Cette troisième opinion paraît plus probable que les deux autres. »

Cette opinion, Jean de Jandun l’entend dans un sens qui revient à poser, dans les êtres susceptibles de génération et de corruption, la seule distinction de la matière et de la forme, et à supprimer toute distinction entre l’essence et l’existence. Ses thèses peuvent, en effet, se formuler très simplement de la manière suivante :

L’essence en puissance ne diffère pas de l’existence en puissance, car toutes deux sont identiques à la matière.

L’essence en acte ne diffère pas de l’existence en acte car toutes deux sont identiques à la forme.

Que ce soit bien la pensée de notre auteur, cela résulte clairement, croyons-nous, des textes suivants : « Remarquons soigneusement, au sujet de cette [troisième] opinion que l’essence se distingue en essence en acte et en essence en puissance, tout comme l’existence se distingue en existence en acte et en existence en puissance. Lors donc que l’on dit qu’en une substance susceptible de génération et de corruption, l’essence diffère de l’existence, cela n’est point vrai si l’on entend ces deux mots de la même façon. L’essence actuelle, en effet, ne participe pas de l’existence actuelle ; mais cette existence actuelle est la même chose que l’essence [actuelle], car cette essence actuelle est la même chose que la forme qui est existence et acte. De même, l’essence potentielle, en tant que matière, ne participe pas à l’existence potentielle, car elle est la même chose que cette existence. Mais l’essence potentielle, en tant qu’elle est la matière, participe de l’existence actuelle, en tant que celle-ci est la forme ; car si la forme n’était point prise par la matière, il n’y aurait, en une même espece, qu’un seul individu…

» Si donc on prend de façon différente les mots essence et existence, il est véritable que l’existence actuelle, qui est la forme, diffère de l’essence en puissance, qui est la matière… Mais si l’on prend essence et existence de la même façon, si l’on entend, par exemple, essence en acte et existence en acte, ou bien essence en puissance et existence en puissance, alors il n’est plus vrai que l’essence et l’existence diffèrent réellement, car elles sont une même chose. L’essence en acte, en effet, c’est la forme, qui est aussi l’existence. Et donc l’essence [en acte] ne participe pas de