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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

ratione demonstrent, aut quod eorum auctoritas non faciat nobis fidem. Vile enim est in hiis que fidem non tangunt tantum auctoritate inniti quod totaliter ratio dimittatur et manifesta negentur. »

Grand admirateur d’Aristote et d Averroès, Jean de Jandun éprouve une évidente aversion contre ceux qui s’efforcent d’accommoder renseignement de ces auteurs à la doctrine catholique et qui, par là, faussent la pensée des Philosophes. Nous l’entendrons, tout à l’heure, traiter avec une extrême sévérité les procédés de ces conciliateurs. Nous n’aurons donc pas à nous étonner s’il se prend constamment de querelle avec celui que l’on peut vraiment regarder comme le chef de l’École de la conciliation. Et, en effet, nous le voyons, à chaque instant, opposer aux interprétations de Saint Thomas d’Aquin ce qu’il regarde, lui, Jean de Jandun, comme la véritable doctrine des Philosophes.


B. L’essence et l’existence.


De ce désaccord entre Jean de Jandun et Thomas d’Aquin, citons un exemple entre ccnt ; il est particulièrement caractéristique, car il concerne la distinction entre l’essence et l’existence. « Il est, dit-il[1], une opinion selon laquelle, en tout être causé, l’existence diffère essentiellement de l’essence. » C’est l’enseignement d’Avicenne que notre auteur résume en ces termes. « Il est, poursuit-il, une seconde opinion qui restreint et spécifie davantage la question ; c’est celle-ci : L’existence ne diffère pas de l’essence en tout être causé ; mais en tout être causé et subsistant, l’existence pure et simple diffère de l’essence. Cette opinion est celle d’un ancien commentateur (antiquus expositor), en son traité De ente et essentia, où il parle contre la supposition d’Averroès, selon laquelle le ciel est une substance simple et non pas un composé de matière et de forme ». À cette opinion de « frère Thomas », Jean de Jandun adresse diverses objections qui, selon lui, la rendent insoutenable.

« Il y a, ajoute-t-il, une troisième opinion qui est la suivante : Ce n’est pas en tout être causé, comme le dit la première opinion, ni en tout être causé et subsistant, comme le dit la seconde opi-

  1. Ioannis de Ianduno philosophi perspicacissimi Acutissimæ Quœstiones in duodecim libros Metaphysicae ad Aristotelis, et magni Commentatoris intentionem ab eodem disputaæ : Cum Marci Antonii Zimaræ in easdem accuratissimis Annotationibus… Venetijs, Apud Hieronymum Scottum, 1560. Lib. IV, quæst. III. Ed. cit., coll. 235-241.