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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

» Après quoi, supposé que le ciel soit mû par quelque moteur créé, on demande s’il est mû par un seul moteur ou par plusieurs…

» À la première question, nous répondrons qu’il y a, à ce sujet, trois opinions.

» Certains personnes prétendent que le ciel, étant le premier mobile, est mû immédiatement, par la Cause première ; en effet, un mouvement infini provient d’une cause infinie, comme le dit le Philosophe au huitième livre des Physiques.

» Mais cette thèse ne parait point exacte en elle-même et la raison que l’on invoque en sa faveur ne l’est point davantage. Elle ne parait point vraie en elle-même, car il répugne à l’ordre assigné par la Sagesse divine que des choses d’un rang inférieur soient régies par des choses d’un rang plus élevé et des êtres corporels par des êtres spirituels. La raison que l’on en donne ne semble pas, non plus, être vraie ; en effet, si le mouvement du ciel est, au gré des philosophes, infini par son extension’dans le temps], il n’est point, cependant, infini en intensité ; il ne requiert donc pas une force motrice qui soit infinie d’une manière essentielle, mais seulement une force motrice qui soit infinie en durée. D’ailleurs, selon la foi, le mouvement du ciel n’est même pas infini en extension, car il a commencé et, un jour, il prendra fin.

» D’autres disent que le ciel est mû par une forme propre qui l’incline à un tel mouvement. Ainsi les corps graves et légers sont mus par une forme qui les incline à un certain mouvement, et ce mouvement en résulte.

» Mais cela ne peut être ; toute forme naturelle, en effet, tend seulement à un objet unique, et lorsqu’elle le possède, elle se repose. Aussi un élément, placé hors de son lieu naturel, se meut-il vers ce lieu ; mais lorsqu’il est en son lieu, il demeure de lui-même en repos. C’est le contraire qui se manifeste dans les sphères célestes, car, alors qu’elles sont en leurs lieux, elles se meuvent sans cesse pour changer de situation.

» D’autres ont dit que le moteur immédiat du ciel est une âme. ils admettent, en effet, qu’il y a trois moteurs. Le premier de ces moteurs est la Cause première, qu’ils considèrent en outre comme le principe de l’intelligence. Le second est l’intelligence ; elle est pleine de formes susceptibles de se dérouler au dehors par le mouvement de l’orbe qui lui appartient. Mais comme l’intelligence n’est rien qu’un être simple, elle ne peut porter son attention sur un mouvement particulier qui correspond tantôt à telle situation et tantôt à telle autre. Il y a donc un troisième moteur qui est conjoint au ciel ; selon ces auteurs, c’est une âme ; ils ont